Le mental du gagneur

Hier, fut une belle journée dans l'histoire du tennis tricolore. Marion Bartoli rejoignait la grande Suzanne Lenglen et Amélie Mauresmo [1] au palmarès de ceux qui ont gagné le Tournoi londonien de Wimbledon. Rapidement, les premiers messages de félicitations affluaient en direction de la jeune femme, notamment en provenance de l'Elysée [2].

Après le match, dans la traditionnelle prise de parole qui suit la remise des trophées, Bartoli expliquait que c'était un rêve d'enfant qui se réalisait, que cette victoire était le résultat d'un gros travail avec son père et ancien entraîneur.

Car il est vrai que la désormais numéro 7 mondiale [3], a traversé ces derniers temps des périodes de doute, pendant lesquels, ses résultats n'étaient pas à la hauteur de ce qu'elle avait pu montrer par le passé. Cependant, La jeune femme a su se remettre en question et a réussi à sortir de la spirale dans laquelle certains la voyaient sombrer définitivement. Il y a quelques semaines encore, à Roland Garros, on entendait encore certaines critiques sur les méthodes d'entraînement de la jeune femme, pas vraiment orthodoxes. D'autres ne cessaient de moquer son poids... Et dans la journée d'hier, on entendait encore, de-ci de-là, quelques uns qui minimisaient sa victoire arguant que les meilleures avaient été éliminées et que Bartoli n'avait donc pas eu à les affronter [4]. Sans commentaire.

Les Français sont ainsi : ils aiment détruire les icônes qu'ils ont porté en triomphe. Plus généralement, la France, je le pense, n'aime pas les gagnants. Elle préfère presque toujours le deuxième, c'est-à-dire celui qui perd avec les honneurs [5]. Cet état d'esprit a des conséquences catastrophiques car elle ne valorise pas l'effort ni l'ambition, un autre mot que l'on cherche à rayer. Et les exemples sont nombreux.

Vive le perdant !


Un autre pour la route. Alors que les vacances d'été débutent, il est une autre compétition sportive qui réunit les Français : Le Tour de France cycliste. Malgré les affaires de dopage qui émaillent cette discipline [6], il n'en reste pas moins que ce sport reste populaire auprès du public. Les juillettistes cherchent tous les ans, un successeur à Bernard Hinault dernier vainqueur de l'épreuve en 1985 [7]. Aujourd'hui reconverti comme responsable du protocole pour l'épreuve [8], il jouit, incontestablement, d'une grande popularité auprès des aficionados et intervient aussi régulièrement pour donner son pronostic quant au podium final.

Pourtant, à bien y regarder de près, Hinault, n'a pas toujours été autant apprécié par le public tricolore. Sa domination outrageuse du monde cycliste dans les années 70-80, en énervait plus d'un. Le Breton (encore un), surnommé Le Blaireau, du fait de son tempérament impulsif, en rajoutait copieusement en répondant franchement à toute personne qui le mettait au défi. Quand il se remémore cette époque, Hinault déclare n'avoir été motivé que par la première place. Sa réputation auprès des foules ne l'intéressait pas. Quelques années avant lui, un autre coureur avait aussi soulevé la rancœur du public : Jacques Anquetil. Sur le Tour 1961, il avait annoncé vouloir porter le maillot jaune du début à la fin, chose qu'il fit, suscitant la colère de Jacques Goddet ainsi que celle du public. L'homme, malgré cela, gardera assez d'humour pour baptiser son bateau "Sifflets".

Non, celui que les Français ont toujours admiré, c'est Raymond Poulidor. Sa légendaire bonhomie et son courage [9], attiraient plus facilement la sympathie des spectateurs. L’Éternel Second, comme il fut surnommé affectueusement [10], n'a en effet jamais gagné l'épreuve la plus prestigieuse du calendrier cycliste, ni même porté une seule fois le maillot jaune [11] ! Toujours placé, jamais gagnant !

Et les exemples du même type sont nombreux : d'Alain Prost, quadruple champion du monde de F1 à Marie-José Perec, bon nombre de nos sportifs ont tantôt été adulés, tantôt descendus soit parce qu'ils gagnaient trop soit parce qu'ils ne le faisaient plus assez. Il faut attendre qu'ils cessent leur carrière pour obtenir une reconnaissance pour leurs exploits. Après et seulement après, ils redeviennent fréquentables...

Du sport à la vie économique


Du sport professionnel au milieu économique il n'y a qu'un pas. D'ailleurs, il n'est pas rare de voir d'ancien athlètes se reconvertir en dirigeant d'entreprise pour faire fructifier le patrimoine qu'ils ont acquis pendant leur carrière.

Alain Prost que je citais plus haut s'y est essayé. En février 1997, il rachète l'écurie française Ligier et signe un contrat avec PSA pour la fourniture de moteurs à partir de la saison 1998. L'aventure débute bien et les monoplaces bleues font sensation pendant la première partie de la saison 1997 [12]. Les quatre saisons qui suivent s'avèrent catastrophiques pour l'équipe qui voit Peugeot freiner des quatre fers [13] dans l'aventure. Le président de Peugeot change les règles du jeu en cours de route : la fourniture des moteurs est réduite de 5 à 3 ans et devient payante [14].

Tout s’accélère à la fin de l'année 2001. L'entreprise est mis en redressement judiciaire en novembre avec une dette de plus de 30 millions d'euros. Elle sera mise en liquidation judiciaire le 15 janvier suivant, faute d'investisseur. Ainsi s'arrête l'histoire [15].

Suite à cela, bon nombre de personnes critiqueront l'attitude de Prost, qui passe pour un "arrogant", un "orgueilleux", et est donc incapable de diriger une écurie de Formule 1. La presse se déchaîne sur lui ainsi que d'anciens pilotes. Pescarolo fut l'un d'eux [16]. Depuis lors, Prost n'intervient plus. Il se tient éloigner du monde de la compétition de haut niveau, ne réservant son point de vue qu'au constructeur Renault avec lequel il a toujours été historiquement lié [17]. La blessure qu'on lui a infligée à cette période reste profonde.

Paradoxe


Le constat que l'on peut tirer de ces affaires est décevant. Réussir, gagner, triompher ou encore vaincre sont des mots que l'on maudit, que l'on exècre et que l'on voudrait peut-être même rayer à jamais du dictionnaire. Dans l'imaginaire de nombreuses personnes, ce vocabulaire relèvent de la domination ou de l'exploitation : si une personne gagne, cela veut dire qu'une autre perd. Au lieu d'encouragé ce dernier, on le plaint et on jette l’opprobre sur le premier, l'ennemi à abattre, car de toute façon, c'est lui le fautif.

Or, c'est la culture inverse qu'il faudrait développer, la culture de la gagne. Bien évidemment, cela ne consiste pas à gagner par tous les moyens et en l'absence de morale, mais de suggérer qu'être premier n'est pas forcément mal, que l'émulation est très enrichissante car elle nous pousse à aller plus loin.

J'espère que cela se produira un jour...

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[1] Suzanne Lenglen a remporté le tournoi six fois consécutivement entre 1919 et 1925. Amélie Mauresmo, quant à elle, souleva une fois  le trophée du vainqueur en 2006.
[2] Les mauvais langues y verront une récupération politique. Mais je ne suis pas de ceux-là.
[3] A partir du 8 juillet.
[4] Un exemple parmi tant d'autres sur Radio-Canada à ce lien.
[5] Les fans des Inconnus comprendront.
[6] J'en parlai récemment avec la nouvelle affaire Laurent Jalabert.
[7] Bernard Hinault a remporté le Tour de France en 1978, 1979, 1981, 1982 et 1985. Il termina deux fois deuxième, en 1984 et en 1986.
[8] Il est chargé de remettre les différents prix et maillots en fin d'étape.
[9] Poulidor a plusieurs fois était contraint à l'abandon sur la Grande Boucle du fait de chutes et de malchances diverses.
[10] Il remporta cependant une fois la Vuelta, le Tour d'Espagne en 1964.
[11] Poulidor termina deuxième en 1964, 1965 et en 1974.
[12] Prost Grand Prix marqua 21 points et termina 6ème du championnat des constructeurs.
[13] En 1993 après la victoire au Mans (un triplé), Jean Todt voulut aussi porter les efforts de Peugeot Talbot Sport dans la Formule 1. Devant le refus de la direction, il rejoignit la Scuderia Ferrari avec le succès que l'on connait. Nul n'est prophète en son pays.
[14] Contrairement aux autres écuries qui bénéficient généralement d'une fourniture de moteurs gratuite. A cette époque, Peugeot venait de retrouver les chemins du WRC, le championnat du monde des rallyes.
[15] A la suite de cette liquidation, Alain Prost fut interviewé par Thierry Ardisson dans Tout le monde en parle. La vidéo est consultable à ce lien.
[16] L'homme subit, de la même manière quelques années plus tard, les mêmes problèmes que Prost en voyant ses efforts pour monter une écurie automobile indépendante réduite à néant par le retour de Peugeot en sport prototype...
[17] A noter que les problèmes du constructeur le poussèrent à rejoindre McLaren en 1984.

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