Boston Tea Party (1)

Un symbole. Une révolte. Un acte de résistance. Voilà comment on pourrait résumer en quelques mots l'un des événements qui fut à l'origine de la Révolution et de la Guerre d'Indépendance américaine [1]. Ce jour de décembre 1773, provoqua une rupture irrémédiable entre les colons et leur autorité suprême, la couronne britannique. Encore aujourd'hui, l'événement est encore très présent dans l'imaginaire collectif américain tant et si bien que le mouvement du Tea Party s'en inspira en 2010, pour faire bouger les lignes du parti républicain [2].

Les suites de la Guerre de Sept ans


Mais pour mieux comprendre comment on en est arrivé là, il faut revenir quelques années auparavant. Politiquement, les colons habitant les treize colonies sont sous l'autorité du Parlement britannique. Leur loyauté envers la couronne est sans faille. Pourtant leur statut est particulier puisqu'ils ne possèdent pas de représentants à Londres. Bien souvent, donc, Westminster prend des décisions sans les consulter au préalable, notamment en matière fiscalité. Les colons objectent que la Bill of Rights [3] interdit au Parlement de voter de nouvelles taxes à des populations non représentées. Cependant, les représentants balaient d'un revers de la main cet argument mettant en avant leur représentation virtuelle.

L'un des premiers épisodes de la confrontation entre les colons et le gouvernement a lieu en 1764. La guerre de la Conquête vient de se terminer l'année précédente [4] et l’administration royale a besoin d'argent pour financer des forces de sécurité sur place d'autant plus que le territoire s'est agrandi [5]. L'armée a besoin de 10 000 hommes supplémentaires. Et la dette contractée pendant le conflit doit être remboursée [6]. Le Parlement décide donc de lever un nouvel impôt sur le sucre afin d'assurer de nouvelles rentrées fiscales. Cette politique poursuit la volonté du Royaume à la fois monopolistique et mercantiliste [7]. Après tout, le conflit qui opposa l'Angleterre à son ennemi héréditaire, la France, a coûté la vie à de nombreux soldats anglais et il est donc tout à fait naturel que les colons participent à l'effort de guerre alors que l'armée anglaise les a protégée de l'envahisseur. Quelques jours seulement après le vote de la loi, le Parlement interdit aux colonies d'émettre leur propre monnaie [8] : seule la livre sterling aura dorénavant cours légal sur le sol américain. Une fois mis au courant de ces deux lois, les colons les contestent vigoureusement. Cependant, le Parlement choisit d'ignorer ces revendications.

Le gouvernement comprend rapidement que le Sugar Act est un échec : les objectifs de recettes recettes fiscales ne sont pas atteints. La faute à la contrebande et au marché noir qui s'organisent au nez et à la barbe des autorités. Qui plus est, la loi pénalise fortement le commerce du sucre avec les colonies créant même des pénuries localement [9]. Constatant cela, George Grenville, alors Premier Ministre [10] décide dès l'année suivante d'instituant des timbres fiscaux qui seront désormais obligatoires sur tous les documents officiels - journaux, testaments, permis, etc. - circulant dans les colonies [11]. Les protestations reprennent.

Les Fils de la Liberté


Mais cette fois-ci, les colons ne baissent pas les bras. L'une des premières initiatives est à mettre à l'actif d'un avocat de Virginie, Patrick Henry [12]. Ce dernier appelle à la désobéissance civile, soulignant que des taxes sur les colonies ne pouvaient venir que des leurs représentants élus. La résistance s'organise peu à peu et de multiples associations commencent à voir le jour. Elles prennent le nom de Fils de la Liberté [13]. Leur mouvement se radicalise rapidement : les colons provoquent à plusieurs reprises l'armée qui répond alors en chargeant sur la foule, baïonnette au poing...

En octobre 1765, à l'initiative de James Otis un avocat du Massachusetts, des délégués de neuf des treize colonies se réunissent au Federal Hall [14] à New-York. Sous l'égide de John Dickinson, l'assemblée rédige et signe la Déclaration des Droits et Griefs [15]. Des pétitions et des lettres sont ensuite envoyées au roi et au Parlement pour demander le retrait du Stamp ActDevant la détermination des colons et le boycott des produits britanniques, le Sugar Act et le Stamp Act sont finalement abrogées en 1766 [16]. Mais la détermination du gouvernement reste intacte : l'état a toujours besoin d'argent.

Le conflit s'envenime


Pour tenter de remettre d'aplomb les finances, le chancelier de l'échiquier Charles Townshend [17] fait voter une série de lois entre 1767 et 1768. Connues sous le nom de Townshend Acts, c'est un ensemble de cinq textes. L'idée du ministre est de taxer les importations de produits anglais parmi lesquels, le papier, le verre ou encore le thé - c'est le Revenue Act. Le gouvernement pense - à tort - que les colons trouveront ces taxes plus légitimes. En plus de cette taxe, un bureau de douane, établi à Boston et sous l'autorité de Londres, contrôle l'entrée des marchandises sur la façade atlantique. C'est par ce port qu'entre le thé, dont le commerce est assurée par la Compagnie anglaise des Indes Orientales [18]. Pour lutter contre la contrebande, le thé subit une détaxe - Indemnity Act - à son entrée sur le sol des colonies.

La réaction des colons ne se fait pas attendre. Le boycott des produits britanniques et la contrebande s'amplifièrent. James Otis, déjà à l'oeuvre lors du Stamp Act, sera à l'origine d'un slogan repris par les protestataires : "No Taxation without Representation" [19]. Un événement, symbolique, viendra amplifier leur colère : à l'été 1768, le sloop de John Hancock [20] est confisqué par les douanes britanniques. Il violerait, selon les autorités, les lois en vigueur. En réaction à cet acte, les colons décident de prendre d'assaut les bureaux de Boston [21]. Des troupes sont dépêchées en renfort pour ramener le calme dans la ville.
Iconographie représentant le Massacre de Boston (1770) 

La tension ne cesse de monter entre les deux parties et le 5 mars 1770, une manifestation à Boston tourne mal : cinq colons sont tués. Le "Bloody Massacre", comme il est nommé [22], renforce la rancœur des habitants contre le pouvoir royal. Devant l'échec des lois et les morts de Boston, le Parlement fait une nouvelle fois marche arrière, abrogeant le cortège de lois. Seule une taxe sur le thé reste instituée... Au lieu d'apaiser les esprits, cette reculade du gouvernement est vue comme un encouragement par les colons. Ces derniers poursuivent leur mouvement contre l'autorité royale.

Dernier act(e)


Suite au boycott organisé par Hancock, entre autres, la Compagnie anglaise des Indes Orientales voit ses ventes s'effondrer. Les dettes commencent à s'accumuler et son avenir apparaît donc de plus en plus incertain. 

Afin d'aider la Compagnie, le Parlement fait voter une dernière loi, le Tea Act en mai 1773 afin de soutenir les ventes : elle peut, contrairement à ses concurrents, vendre son thé sans payer de taxes. Résultat, les marchands sont contraints de faire faillite, ne pouvant rivaliser avec les prix proposés par le monopole royal. La colère des Américains reprend de plus belle. Les marins de la compagnie sont passés au supplice du goudron et des plumes. John Dickinson appelle en représailles au boycott pur et simple de la Compagnie.
Pièce commémorative du bicentenaire de la Partie de Thé de Boston (1973).

En décembre 1773, six navires, battant pavillon de la Compagnie, arrivent en vue de la côté américaine. Trois d'entre eux ont respectivement comme destination New-York, Philadelphie et Charleston ; les trois autres font route vers Boston. Les colons refusent l'entrée aux bateaux à l'entrée des deux premiers ports, tandis qu'à Charleston, la cargaison est déchargée et le bateau mis en réserve [23]. A Boston, la situation est plus tendue. Bien qu'ancrés au port, les vaisseaux se voient empêcher le débarquement de leur marchandise. Un bras de fer s'engage alors entre les colons et Thomas Hutchinson, le gouverneur de la colonie du Massachusetts, un loyaliste. Celui-ci interdit aux bateaux de repartir tant que la cargaison n'est pas à terre. Après quelques jours de flottement, des membres des Fils de la Liberté montent à bord des navires le 16 décembre, déguisés en indiens Mohawks [24]. Ils jettent à l'eau environ 45 tonnes de thé, pour une valeur de 10 000 £. Une fortune venait de s’envoler, suscitant la colère des autorités britanniques et du roi.

Vers la guerre


Ce dernier promulgue quatre nouvelles lois [25], nommées Intolerable Acts [26]. La première est une réponse directe à l'épisode de Boston et consiste à fermer le port tant que la Compagnie n'a pas été indemnisée des dégâts provoqués par les insurgés. Certains droits des colons sont désormais fermement encadrés [27] et les procès mettant en cause des soldats britanniques pourront désormais se dérouler en Angleterre, si on estime qu'il pourrait ne pas être équitable [28].

La guerre est désormais inévitable. Aucune des deux parties n'est prête à reculer sur ses positions et ses prétentions. Les premières escarmouches ont lieu en 1775 à Lexington où des miliciens Congressistes [29] battent un petit groupe de soldats britanniques. Peu de temps après, l'Armée Continentale est créée et mise sous les ordres du général George Washington. Les colons choisissent un à un leur camp : c'est le début de huit ans de conflit.

Dans la prochaine partie, nous verrons les premiers actes de la nation américaine, sur le plan politique alors que la guerre fait rage. Des hommes, nommés Pères fondateurs, joueront un grand rôle pendant cette période, prenant fait et cause pour des valeurs des Lumières. Parmi ses Patriotes, figure Thomas Jefferson, le rédacteur de la fameuse Déclaration d'Indépendance [30], texte qui officialise la rupture avec l'Angleterre de George III.

---
[1] Les deux événements sont à distinguer. Le premier renvoie à la période qui suit la Guerre de Conquête jusqu'au début de la Guerre d'Indépendance proprement dite. Cette dernière débute en 1775 et se termine en 1783 avec le Traité de Paris.
[2] Le mouvement a repris plusieurs slogans libertariens. Le mot Tea y est d'ailleurs vu comme un acronyme signifiant Taxed Enough Already, c'est-à-dire déjà suffisamment taxés. Lors des élections de mi-mandat en novembre 2010, L'un des leaders du mouvement, Rand Paul, fut élu sénateur junior du Kentucky.
[3] La Déclaration de Droits. Signée en 1688 sous le règne du roi Charles II. A ne pas confondre avec celle qui fut promulguée en 1789 par les Etats-Unis.
[4] La Guerre de Conquête est le pendant américain de la Guerre de Sept ans. Elle débouche sur une victoire anglaise et la signature du Traité de Paris en 1763.
[5] Pendant la guerre, les troupes anglaises ont conquis la province du Québec.
[6] C'est la conséquence de toutes les guerres...
[7] Idéologie très courante à l'époque. Elle vise à protéger les intérêts de la couronne britannique.
[8] Nommée Currency Act. Elle abolit la monnaie fiduciaire des colonies, le Colonial Scrip qui non adossée sur l'étalon-or n'avait qu'une très faible valeur.
[9] La Nouvelle Angleterre souffrit à l'époque d'une pénurie de rhum...
[10] Grenville était déjà à l'origine du Sugar Act.
[11] Timbres fiscaux qui semblent encore très à la mode...
[12] Patrick Henry (1736-1799) fut gouverneur de l'état du Virginie à deux reprises, à partir de 1776.
[13] On trouve parmi eux, Samuel Adams, Patrick Henry, John Adams, James Otis, John Hancock,...
[14] C'est à cet endroit que George Washington prêta serment en 1789 (Oath of Office). le Federal hall fut le siège du Congrès avant qu'il ne soit transféré à Washington.
[15] Declaration of Rights and Grievances en anglais.
[16] Le changement de Premier Ministre est très probablement à l'origine de cet abrogation. En effet, Charles Watson-Wentwoth, qui remplace Grenville, était plus favorable aux colons.
[17] Le Chancelier de l’Échiquier est l'équivalent d'un ministre des finances dans le gouvernement britannique.
[18] Créée en 1600 par la reine Elizabeth Ier, la compagnie fut concurrente de la France et des Pays-Bas.
[19] Slogan signifiant "Pas de taxes sans représentation".
[20] John Hancock (1737-1793) fut président du Second Congrès Continental et l'un des signataires de la Déclaration d’Indépendance.
[21] Hancock fut défendu par John Adams (1735-1826) qui fut plus tard Président des Etats-Unis. L'affaire fut classée sans suite.
[22] Connu aussi sous le nom d'Incident de King Street. Les soldats furent défendus par John Adams également.
[23] Il sera vendu pendant la Guerre d'Indépendance pour financer les troupes.
[24] Réputés pour faire peur...
[25] Certains diront cinq, mais le Quebec Act est un peu à part.
[26] On trouve aussi les termes Coercitive Acts ou Punitive Acts.
[27] Notamment le droit de tenir des réunions. 
[28] George Washington qualifia cette loi de Murder Act car, selon lui, elle permettrait aux meurtriers d’échapper à la justice.
[29] On parle aussi de Whig, par opposition aux Loyalistes, favorables au roi.
[30] Officiellement, cinq hommes furent désignés pour rédiger la déclaration. Connu sous le nom de Committee of Five, on y retrouve Thomas Jefferson, John Adams, Benjamin Franklin, Roger Sherman et Robert Livingston.

1 commentaire: