L'austérité, le mirage français

Depuis la crise économique qui a suivi l'éclatement de bulle immobilière américaine, on entend, ça et là, les politiques français - de quelque bord qu'ils soient - parler de l'austérité qui s’abattrait, prétendument, sur le pays. Mais qu'en est-il vraiment ?

Toujours plus d'impôts...


Depuis 2010, arguant qu'il fallait redresser d'urgence des comptes publics gravement déficitaires - il semblait alors que c'était une découverte pour la plupart des politiques français, alors même que l'état n'a pas enregistré d'excédent budgétaire depuis 1975 - l'exécutif, appuyé par le parlement, a donné un premier tour de vis fiscal, qui fut suivi en 2012 par un deuxième, asséné cette fois-ci par l'actuelle majorité. Autant dire que les deux camps sont d'accord sur les solutions à apporter au problème des finances du pays. Des impôts, qui ne servent non pas à reboucher le trou béant de la dette nationale - ou alors de façon très marginale -, mais à financer des promesses électorales toujours plus généreuses et démagogiques et à contenter certains corporatismes, par l’octroi de quelques privilèges supplémentaires [1].

En réalité, la réduction des déficits provient plus de l’accélération des recettes de l'état, du fait d'une croissance plus vive, que de l'augmentation de la pression fiscale. La nouvelle couche d'impôts votée en 2012 l'a d'ailleurs prouvée : à la fin de l'année dernière, elle ne provoquait pas l'effet escompté et les éminences grises de Bercy durent reconnaître un manque à gagner de près de 11 milliards d'euros de recettes fiscales. Trop d'impôts tue l'impôt. Un point de vue que défendait, jadis, Arthur Laffer - conseiller influent du président Reagan - et qui fut repris par plusieurs dirigeants dans les années 80, dont Margaret Thatcher [2].

...et toujours plus de dépenses


Donc, dans le même temps où l'état augmentait les impôts pesant sur les individus et les entreprises - le taux de prélèvement obligatoire a franchi le seuil des 46% en 2013 -, il a par la même continuer de dépenser plus, tant en pourcentage qu'en euros courants - respectivement 57.1% du PIB et 1150 milliards sur 2013 - : autrement dit, alors qu'il demande aux Français de se serrer la ceinture, l'état, de son côté, ne se prive pas pour s'accaparer toujours plus de richesses et les disperser aux quatre vents, sans se préoccuper de l'efficacité de cette dépense. D'ailleurs au vu des derniers résultats du chômage - dont la courbe ne s'est toujours pas inversée - on peut douter que le système dans l'état actuel fonctionne. Si tel était le cas, je n'écrirais pas ces lignes.

Donc pour résumer, si austérité il y a, elle n'existe pas pour l'état puisque celui-ci ne ralentit en rien son rythme de dépenses. Que les politiques cessent donc de nous dire que l'état "se serre la ceinture", dès que l'on parle d'économies de quelques dizaines voire quelques centaines de millions d'euros, alors même que tous les ans, les dépenses glissent de 30 milliards. Et ceux qui avancent l'idée de diminuer les dépenses de quelques milliards provoquent, systématiquement, à un tollé général, comme celui que doit affronter le gouvernement de Manuel Valls actuellement. On se heurte, ici, à un problème qui dépasse de loin les clivages politiques : dépenser moins, dans l'imaginaire culturel, implique nécessairement que le service rendu perdra en qualité. Plus encore, dès que l'on parle de réduire les dotations, on ne cesse de jouer sur l'affectif de la population, en lui disant, les yeux au bord des larmes, qu'il y aura alors moins d'écoles ou d'hôpitaux. Impensable donc pour tout politique souhaitant conserver son mandat. 

Pour notre classe politique, dépenser plus est donc devenu une règle tacite, un horizon indépassable, à croire qu'aucune autre solution n'est envisagée quand un problème, de quelque degré qu'il soit, se présente. Prenons, l'échec de notre système éducatif par exemple, régulièrement pointé du doigt par les tests PISA. Au lieu d'analyser les raisons de cet effondrement, le politique se contente juste de dire que ces mauvais résultats ont pour cause un manque de moyens alloués au secteur. Dépensons plus et tout rentrera dans l'ordre. Du moins en théorie. Et si au passage on peut acheter la paix sociale avec les syndicats, on fait d'une pierre deux coups.

L'austérité, le signe d'un manque de rigueur


Pourtant, les cures d'austérité sont indispensables si, pendant les années qui les ont précédées, la gestion des finances de l'état a été traitée avec laxisme par ses dirigeants. Si des périodes de déficits peuvent être rencontrées, du fait d'une mauvaise conjecture économique, il n'est pas normal pour un pays qu'elles se prolongent sur plusieurs décennies. N'en déplaise aux gens qui pensent que les services publics n'ont pas pour objectif d'être rentables. Ce genre de raisonnement ne passe pas le cap de la réalité : ne pas savoir gérer sainement les finances d'une entreprise ou d'un état - toute proportion gardées -, ne va qu'un temps avant que le spectre de la dette ne devienne un problème, ne serait-ce que par son financement.

Certains pays, confrontés à une telle situation ont réagi à temps et entrepris des réformes structurelles visant à améliorer l'efficacité des services publics, c'est-à-dire, maintenir la qualité tout en dépensant moins. On peut ainsi citer le Canada, la Suisse ou encore la Suède, et ce à peu près au même moment, au début des années 90. D'autres, au contraire, ont cédé à la démagogie en promettant monts et merveilles à la population via de la redistribution de richesses, qui la plupart du temps n'étaient pas créées. Il s'en est suivi le résultat que nous connaissons : l'explosion de leur dette à des moments critiques à causer des dommages sociaux considérables, provoquant chômage et pauvreté. Un choc pour ces pays qui se croyaient pourtant à l'abri.

Bien que critiquées par certains du fait qu'elles augmentent les inégalités, en réduisant la sphère de l'amortisseur social, les cures d'austérité n'en sont pas moins, quand elles sont conduites de manière adéquate, de formidables accélérateurs de croissance. Je m'explique. Assainies, les finances du pays, laissent plus de place à une nouvelle ère d'expansion économique, génératrice de richesses et d'emplois, qui par voie de conséquence, constituent le meilleur moyen de réduire les inégalités sociales dans la population. Concrètement, ces cures d'austérité ont pour but de déplacer un curseur, tout autant fiscal que réglementaire, en redéfinissant le rôle de l'état pour que celui-ci redonne toute sa place aux individus pour qu'ils créent, innovent et redonnent de l'élan à une économie, qui à force de concessions - en lieu et place de réformes - se retrouve incapable de profiter de conjectures favorables, au niveau continental ou mondial. Une sclérose qui, au final, débouchera sur une austérité forcée plutôt que choisie. Si d'aventures la France ne veut pas subir ce sort, il serait heureux que nos dirigeants fassent preuve de courage pour mener à bien le changement dont le pays a grand besoin.

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[1] Au hasard, les régimes spéciaux de retraites non encore réformés et qui pèsent lourdement sur l'économie.
[2] Inventeur de la fameuse courbe qui porte son nom et que nous expérimentons aujourd'hui.

Dividendes ou investissements ?

Le mois dernier, Alternatives Economiques publiait un article [1] dans lequel son auteur, Christian Chavagneux reprochait aux entreprises - notamment celles du CAC40 - de distribuer préférentiellement leurs bénéfices en dividendes. Sur l'année 2013, alors que les profits ressortent en baisse de 8% à 48 milliards d'euros, M. Cahvagneux montre que près de 85% de cette richesse part en dividendes au lieu d'être réinvestis par les actionnaires. Il note - et on peut vraisemblablement le croire - que cette proportion est en constante augmentation depuis les années 80 où cette rémunération de dividendes s'établissait entre 30 et 40% environ. Les dividendes représentent aujourd'hui 2.6 fois plus que les investissement alors que ce n'était que la moitié en 1980.

Conséquence de cette situation, l'appareil productif français est dans un état de sous-investissement depuis des décennies si on le compare à d'autres pays de niveaux économiques équivalents. Le diagnostic est sans appel : sans un revirement de la situation, l'écart avec nos concurrents directs continuera à s'accroître inexorablement.

Mais si l'article pointe les graves lacunes dans le domaine, il ne prend pas le temps d'expliquer pourquoi on en est arriver à un tel déséquilibre entre la rémunération légitime - même si certains diront le contraire - des actionnaires qui, prennent le risque initial, et les investissements nécessaires au développement et à la pérennité de l'entreprise. Il faut donc se poser la question : que s'est-il passé dans le pays depuis les années 80 pour que le centre de gravité des profits se déplace à ce point des investissements vers les dividendes ?

Plusieurs choses. D'une part, depuis cette période, la fiscalité sur les entreprises n'a cessé d'évoluer, revirant continuellement au gré des changements de majorités parlementaires [2]. Tantôt contraignante, tantôt un peu plus avantageuse, cette dernière n'a cessé de se densifier et de renforcer, notamment au niveau des charges salariales, même si l'impôt sur les sociétés a globalement diminué. Cette instabilité fiscale est donc loin de favoriser l'investissement. De fait, les éventuels actionnaires préfèrent récupérer leur mise de départ sous forme de dividende quitte à payer des impôts sur les revenus et le capital - l'ISF ou la CSG par exemple - : au moins, de cette manière, ils limitent les désagréments qu'ils auraient pu avoir en réinvestissant leur argent. Autrement dit, le jeu n'en vaut pas la chandelle.

D'autre part, des réglementations de toutes sortes se sont multipliées dans l'intervalle de temps, à la fois sur le marché du travail - on pense à la fameuse limite des 50 salariés par exemple - ou sur le fonctionnement même des entreprises - contrôles divers et variés, multiplication des procédures. Ajouté à ce que je viens de dire, cela n'incite pas prendre des risques nouveaux dans une entreprise, ou, tout du moins pas en France, dans les conditions telles qu'elles existent. D'autant plus que là encore, le législateur joue ne cesse de modifier les règles du jeu. Limiter l'innovation du fait de l'existence du principe de précaution, truffer les lois de garde-fous divers et variés afin de mettre un terme définitif à la fameuse concurrence déloyale, tout cela complique sérieusement la vie des entreprises depuis des années. Et l'arrivée d'une nouvelle équipe gouvernementale - même animée des meilleures intentions - ne rassure pas plus les chefs d'entreprise.

Découragé par toute cela, notre tissu entrepreneurial n'investit plus, innove moins et restreint, par conséquent, sa production de richesses et par la même, sa création d'emplois. Le soutien que devrait lui apporter l'état pour favoriser son expansion et sa conquête de nouveaux marchés est quasi inexistant. Un comble alors que sans lui, tout rebondissement de l'activité économique du pays est impossible. Pendant que nos dirigeants palabrent et ne cessent de s'agiter comme des cabris en annonçant des mesures mortes dans l’œuf, David Cameron, le Premier Ministre britannique, vient d'envoyer une lettre d'encouragement aux entrepreneurs de son pays [3]. Un état d'esprit bien différent du nôtre mais qui a permis au Royaume-Uni - même s'il reste aux abois au niveau budgétaire - de retrouver le chemin de la croissance [4], condition indispensable pour que le chômage et la pauvreté régressent.

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[1] Que le lecteur pourra consulter au lien suivant.
[2] On se souvient encore de cette lubie de taxation de l'EBE.
[2] Une lettre qu'a reçu Gaspard Koenig et que vous pouvez découvrir à ce lien.
[3] La plus élevée des pays développés pour cette année.