La fable des trois enveloppes

Ça y est [1]. Enfin la cérémonie d'investiture tant attendue. Il avait rêvé de ce jour depuis tellement longtemps. Son prédécesseur, qu'il a battu aux élections dix jours plus tôt vient l'accueillir sous le doux soleil de mai. après une poignée de mains franche et souriante devant les photographes, les deux hommes que tout oppose s'engouffre dans le palais présidentiel afin de rejoindre le bureau du chef de l'état.

Après les informations d'usage sur l'état du pays, le président déchu, remet trois enveloppes numérotées à son successeur en lui disant la chose suivante : "Tu vois si tu dois faire face à une crise majeure, tu trouveras une solution dans la première enveloppe et ainsi de suite". Acquiesçant d'un regard distrait, ce dernier prend les enveloppes et les range dans la poche intérieure de sa veste. De toute façon pense-t-il, son programme est infaillible et plaît à une majorité de la population puisqu'il a été élu. Quant à celle qui n'est pas d'accord, il s'agira de la convaincre. Raccompagnant son adversaire, le nouveau chef de l'état, oublie vite cette histoire et entreprend de former son gouvernement.

Près d'un an plus tard, malgré les différentes lois votées par le nouveau Parlement pour améliorer la situation économique de la nation - chômage et croissance sont en berne - rien ne semble aller mieux, provoquant la colère générale de la population. Des grèves des fonctionnaires et transports arrivent même à en paralyser le pays. Désemparé, le président ne sait vraiment que faire. Il se souvient alors des fameuses enveloppes. Retournant les tiroirs de son bureau, il finit par mettre la main dessus et décide de décacheter la première. Il en sort un papier sur lequel est inscrit ces quelques mots : "Dîtes que c'est de la faute de votre prédécesseur". Aussitôt après avoir lu le message, les lunettes fichées sur son nez, il décroche son téléphone et interpelle son chef de cabinet lui demandant de convoquer une intervention télévisée pour la semaine suivante. Multipliant les signes de bonne foi - feinte - le président réussit tant bien que mal à apaiser les esprits échauffés par des semaines de crise, et comme par miracle, la situation semble se décanter d'elle-même : les grèves cessent et quelques statistiques semblent montrer des signes encourageants, quant à la santé économique du pays.

Bon an, mal an, tout reprend son cours jusqu'à ce que la crise redouble de violence sur le pauvre pays. Une nouvelle fois, des mouvements sociaux se déclenchent unanimement sur tout le territoire. Voyant l'entreprise mal engagée, le chef de l'état use de la deuxième enveloppe dans laquelle il découvre cette phrase : "Mettez tout sur le dos de la conjoncture économique mondiale". Se remémorant alors le mémo de son zélé ministre de l'économie et des finances sur la croissance de quelques nations équivalentes, il conclut que cette annonce pourrait le tirer - encore une fois - de ce mauvais pas. Appelant son nouveau directeur de cabinet - l'ancien est tombé pour fraude fiscale - il décide de programmer une interview avec des journalistes des principales chaînes télévisées. Comme lors de la précédente crise nationale, cette intervention permet d'arrondir les angles. Bien évidemment, il s'est engagé sur des réformes qu'il ne pourra tenir et sur des promesses à dormir debout, mais notre président garde bon espoir que la situation s'améliorera d'elle-même sans qu'il est trop à intervenir. Après tout, c'est déjà arrivé par le passé que l'inaction soit efficace.

Des mois passent encore. L’environnement s'est encore dégradé à tel point que la population après moins de deux ans d'exercice de l'actuelle majorité réclame, tour à tour remaniements ministériels, dissolution ou démissions, suivant l'humeur du jour. Un vrai casse-tête insoluble. N'ayant plus aucune idée décente à vendre au pays, le président se rabat vers la dernière carte qu'il lui reste encore dans son jeu : l'ultime enveloppe. Fébrile, il attrape le précieux joker qui lui avait permis, par deux fois déjà,  d'extirper le pays de la paralysie politique. Ouvrant l'enveloppe, il s’étouffe presque en lisant la sentence écrite : "Préparez trois enveloppes". Acculé, sans autre alternative, le président se résigne à exécuter l'ordre qui lui est donné par le fantôme de son prédécesseur et attrape trois enveloppes qu'il commence à numéroter de sa meilleure écriture.

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[1] Toute ressemblance avec une situation passée ou présente est purement fortuite et parfaitement involontaire de la part de l'auteur. Bonne lecture.

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