Cigares volants

Dimanche 5 mai au matin, au large du Finistère, le test d'un missile M51, lancé à partir du SNLE le Vigilant, a échoué après une minute de vol, lorsque le missile s'est auto-détruit. Une enquête sera diligentée dans les jours à venir afin d'en éclaircir les causes. C'est l'occasion de rappeler, quelques jours après la publication du fameux Livre Blanc [1], qu'une nouvelle fois nos pouvoirs publics ne sont pas trop regardant quand il s'agit de dépenser l'argent du contribuable.

Le programme du missile M51 remonte aux années 90. Il est destiné à remplacer le missile M45 comme vecteur stratégique des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG). Il doit progressivement remplacer ce dernier à bord des quatre submersibles actuellement opérationnels [2], moyennant quelques aménagements...

Faisons tout d'abord un rapide retour en arrière. A sa mise en service en 1996, par le premier ministre de l'époque Alain Juppé, le M45 était à la pointe de la technologie en terme de portée (environ 6000 km), de précision de frappe (200 m) et de fiabilité. A cette époque, l'URSS n'était déjà plus et les traités de réduction d'armes stratégiques [3], déjà en vigueur. Seuls les USA, le Royaume-Uni, la nouvelle Russie et la Chine disposaient alors d'armes similaires. Les deux premiers avaient cessé le développement de telles armes [4]. Quant au troisième, il peinait à créer un ultime engin de terreur [5]. Enfin le quatrième, bien que disposant d'armes de qualité satisfaisante, reste un cran en dessous des trois nations précédemment citées.

Quelles raisons a-t-on alors eu de développer ce nouveau missile ? Objectivement, strictement aucune. Le principal argument invoqué par nos dirigeants - à savoir l'amélioration de la portée efficace de l'engin qui passerait à 9000 km en moyenne - est difficilement recevable. En effet, le M45 pouvait déjà frapper Moscou, Washington et Alger par exemple, à partir de la même position. Pour ce qui est du reste, les deux missiles emportent des "charges utiles", assez similaires : 6 pour le M45 et entre 6 et 10 pour le M51. Chaque tête nucléaire a d'une puissance de 100 kt environ [7]. Un autre avantage du M45 aussi : celui-ci ne coûte que 50 millions d'euros contre 120 millions à son héritier.

Certains ont osé s'opposer à ce programme dispendieux et inutile [8] et qui n'apporte rien de plus à la FOST [9]. L'échec du missile fautif ce matin, semble corroborer ces dires car il est à prévoir des dépenses supplémentaires, tant pour comprendre le problème que pour y remédier. Et tout cela est difficilement conciliable avec les restrictions budgétaires actuelles.  De nouvelles dépenses dont notre pays déjà fortement endetté aurait très bien pu se passer... A ajouter aux 15 milliards qui ont déjà été investis.

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[1] Ce Livre Blanc de la Défense et de la Sécurité Nationale est disponible à ce lien.
[2] Dans l'ordre de mise en service : Le Triomphant (1997), Le Téméraire (1999), Le Vigilant (2004) et Le Terrible (2010).
[3] Les traités START I (1991) et plus récemment New START (2010) prévoient la réduction des vecteurs transportant les têtes nucléaires ainsi que la réduction du nombre de celles-ci. Les traités START II et III, intermédiaires, n'ont jamais été ratifiés.
[4] Le missile américano-britannique Trident II est en service depuis 1990. 
[5] Le missile russe Boulava (SS-NX-30), d'une portée de 8000 km, a eu, lui aussi, quelques soucis de mise au point...
[6] Ces missiles fonctionnent selon le principe du MIRV (acronyme de Multiple Independently targeted Reentry Vehicle). Sans entrer dans les détails, chaque tête peut frapper une cible différente.
[7] Pour mémoire, la bombe d'Hiroshima avait une puissance de 15 kt seulement. A noter qu'une tête de 150 kt (baptisée TNO pour Tête Nucléaire Océanique) est en cours de développement. Le développement de cette ogive avait été à l'origine des 6 essais autorisés par Jacques Chirac entre 1995 et 1996 sur les atolls de Mururoa et Fangataufa.
[8] Le général de l'armée de l'air Etienne Copel avait publié une tribune dans Le Figaro datant du 27 avril 2004. Il évoquait alors une "régression" par rapport au missile M45.
[9] Force Océanique Stratégique.

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