La vie des autres

"Si on sait que potentiellement on peut être écouté et qu'on n'a rien à cacher, il n'y a pas de problème à être écouté". Cette phrase, apparemment anodine, a été prononcée sur BFMTV par Benoît Hamon, ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation, au sujet de l'affaire des écoutes du président Sarkozy. Elle a rapidement provoqué la colère de certains membres de l'opposition - parmi lesquels Nathalie Kosciusko-Morizet [1] et Bruno Le Maire [2] - qui y voient une dérive autoritaire des institutions de la république et je ne peux que m'associer à cette observation [3].

Pourtant à bien y regarder de près, la déclaration de M. Hamon s'inscrit dans la continuité des propos de son collègue Manuel Valls, qui se disait choqué, il y a quelques semaines, que les Etats-Unis sacralisent à ce point la liberté d'expression de leurs citoyens. Au nom de la sécurité, ces deux ministres sont donc en train de justifier l'invasion de notre vie privée par les services gouvernementaux - comme si nos existences n'étaient déjà pas assez contrôlées comme cela -, tant et si bien que le périmètre non observable par l'état se réduit comme peau de chagrin. Pour vous en rendre compte, regardez le nombre de caméras de vidéosurveillance qui sont installées dans les rues des grandes villes de nos jours. nos faits et gestes sont épiés en permanence, sans, pour autant, que la délinquance ne recule.

A en croire ces membres de l'exécutif, aucun motif ne paraît nécessaire pour espionner la population. Dès lors, nous entrons dans le domaine de l'arbitraire, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Rappelons-nous le film La vie des autres, où un auteur de théâtre, jugé trop subversif par quelques oligarques du régime est-allemand, fut surveillé étroitement par la police secrète, la tristement célèbre Stasi, échappant de peu à la mort [4]. Au risque de contredire Benoît Hamon, l'état de droit, dans lequel nous sommes censés vivre, ne laisse aucune place à ce genre de comportement. A moins que l'on m'ait menti, chose à laquelle je ne peux pas croire un instant. Vouloir garder un œil sur chaque individu, qui plus est s'il n'est coupable de rien, est le propre des régimes autoritaires craignant que la population ne commence à remettre en cause l'ordre, injustement, établi.

La boîte de Pandore semble s'ouvrir un peu plus chaque jour en France et on ne peut exclure que Big Brother is already watching you [5]. Glaçant, même si nos dirigeants tentent, maladroitement, de nous rassurer, nous enfumant de déclarations tout en manipulant - au second plan - l'appareil législatif pour arriver à leurs fins. Assommé par cette propagande, le citoyen finit par y croire que cette surveillance systématique n'est pas une atteinte à ses droits fondamentaux. Après tout, cela ne devrait pas le déranger le moins du monde, puisqu'il n'a rien à se reprocher.

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[1] Déclaration de Nathalie Kosciusko-Morizet, reprise par Le Figaro et disponible à ce lien.
[2] Déclaration de Bruno Le Maire, reprise par Le Figaro et disponible à ce lien.
[3] Mais comprenez-moi bien, si Nicolas Sarkozy a enfreint la loi, il doit être jugé comme tel. Ce n'est pas cela que je remets en cause.
[4] Réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck et sorti en 2006, il a obtenu l'Oscar du meilleur film étranger.
[5] Que George Orwell veuille bien me pardonner pour avoir, quelque peu, changé sa formule.

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