Jalabert, dans la tourmente du dopage

Alors que divers compétitions parsèment notre quotidien estival (championnats d'Europe de basket féminin, Wimbledon,...), une nouvelle affaire de dopage vient à nouveau éclabousser le petit monde du sport. Et là, ce n'est pas n'importe quel sportif qui est mis en accusation puisqu'il s'agit de l'ancien champion cycliste Laurent Jalabert [1], aujourd'hui reconverti en consultant de luxe pour les médias.

Question de timing


Cette nouvelle tombe à quelques jours du départ du Tour de France 2013, la centième édition de l'un des plus importants événements sportifs planétaire avec les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de football. Evénement retransmis dans des dizaines de pays, où ce sport est très populaire.

Certains diront que cette nouvelle va perturber le départ de l'épreuve. D'autres, comme moi, y verront un moment bien choisi. Tout d'abord parce que la nouvelle a été révélée par le journal L'Equipe, le premier (le seul ?) quotidien de sports en France. Ensuite parce que ce journal appartient, comme la Société du Tour de France, organisatrice de la Grande Boucle à ASO [2], promoteur d'un grand nombre d'événements sportifs [3]. Si on ajoute à cela que L'Equipe lance une nouvelle formule demain, on se dit que le journal a essayé de se faire un coup de publicité.

Evidemment, on me rapprochera de céder à la théorie du complot. J'avoue en effet que c'est tout à fait possible. Mais si je vous dit qu'un seul nom (probablement le plus connu) a été révélé par le journal, alors que d'autres cyclistes du fameux Tour 98 sont certainement dans le même cas, vous conviendrez avec moi que le coup de publicité est une hypothèse parcimonieuse, non ?

Traitement médiatique


Avant d'aller plus loin, il faut dire que ce n'est ni la première, ni la dernière affaire de dopage qui éclatera au grand jour. D'autres viendront. Et avec elles leurs cortèges de donneurs de leçons [4] en tout genre nous répétant, inlassablement, que le dopage "ce n'est pas bien"... Dans la foulée, les mêmes, nous crieront leur "surprise", leur "déception", leur "tristesse" pour ce sport dont "l'image de marque est à nouveau ternie par cette affaire".

Mais, enfin, qu'est-ce qui est le plus choquant dans cette histoire ? Que Jalabert se soit (ou non) dopé ? Bien évidemment que non. Cette pratique d'amélioration artificielle des performances par des produits ou pratiques illicites [5] ne date pas d'hier. Le dopage dans le cyclisme est un phénomène culturel qui existait bien avant lui. Et ce n'est pas moi qui le dit, mais, un ancien cycliste aujourd'hui repenti, Erwann Menthéour [6]. Et qui peut blâmer un jeune sportif qui réussissait tout dans les catégories inférieures de se doper pour pouvoir réussir sa carrière professionnelle ? Jeune qui la plupart du temps a arrêté ses études pour se consacrer uniquement à sa passion pour le cyclisme, le tennis ou le football. Personne.

Non, pour moi, le plus choquant, c'est le silence. Pas celui des sportifs impliqués, mais celui des journalistes ou de tout autre personne gravitant dans le milieu. Ces gens connaissent la vérité [7], mais choisissent de se taire. Pour ne pas décevoir les spectateurs, d'une part (et l'audimat) et pour ne se faire mettre à l'écart du monde du sport [8] en cas de divulgation de l'information, d'autre part. A la longue, ce silence devient pesant.

Conséquences


Ce silence que même Laurent Jalabert a pratiqué. Très probablement pour protéger sa famille [9]. Ainsi il faut rappeler que l'intéressé avait été auditionné il y a quelques semaine par une commission sénatoriale [10], au cours de laquelle il niait tout dopage au cours sa carrière. Du moins pas de son plein gré. A nouveau interrogé par la radio RTL quelques heures après avoir appris cette information, il restait éberlué, se défendant toujours de toute pratique interdite [11]. Il vient de rentrer, sans le vouloir, dans la moulinette médiatique, qu'il ait été dopé ou non.

Alors que risque-t-il à tout révéler ? Rien. Absolument rien. Les faits datant de l'année 1998, sont aujourd'hui prescrits. Il n'y aura pas donc pas de remise en cause de son palmarès [12]. Si on avait voulu le rayer des courses qu'il a remportées, on aurait révélé son nom bien avant, sachant l'AFLD [13] connaissait le résultat des tests depuis 2004. En revanche, sa probité et son intégrité seront elles entachées pendant un temps. Jusqu'à ce qu'il se décide à sortir un livre sur le sujet, livre dans lequel il révélera tout ce qu'il sait et que nous savions déjà par ailleurs [14]. Des détails qui lui permettront de sortir blanchi, en quelque sorte, de cette sombre affaire.

Quels détails ? Son rapport au dopage dans le cyclisme professionnel. Comment y'a-t-il été confronté ? Car finalement, le public sait peu de choses là-dessus, si ce n'est ce qui nous est raconté dans la presse. En parcourant les livres sur le sujet on en apprend plus. Par exemple, que le mot "dopage" n'est pas utilisé : on parle de "préparation", de "soins", de "faire le métier" [15]. Derrière ces termes se cachent des pratiques illicites. Et la limite est différente selon chaque coureur, chaque équipe. Peut-on considérer qu'une intraveineuse de glucose est du dopage ? Après tout ce n'est que du sucre, non ?

Mes yeux d'enfant


De mon côté, cette affaire ne m'a pas beaucoup étonnée, tant j'ai compris qu'une grande majorité de cyclistes étaient dopés dans les années 90. Encore aujourd'hui, je n'ai plus beaucoup d'illusions, même si je reste encore émerveillé par certains exploits sportifs.

Le gamin que j'étais à l'époque vivait le début de l'été au rythme du Tour et je me rappelle avoir vu la domination puis la chute du Roi Miguel [16] et l'émergence du train bleu mené d'une main de fer par Lance Armstrong. J'avoue n'avoir pas eu connaissance du dopage avant l'affaire Festina. A partir de ce moment, mes yeux se sont ouverts et je n'ai plus  jamais regardé un événement sportif de la même manière, tant la suspicion reste constamment présente à mon esprit. Même si j'aimerais encore y croire.

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[1] Lire la dépêche du journal L'Equipe à ce lien.
[2] Amaury Sport Organisation
[3] Outre le Tour de France et plusieurs courses cyclistes dont Paris-Nice, on citera, le célèbre rallye-raid, le Dakar.
[4] Sportifs (anciens ou non), responsables de courses (Christian Prudhomme en tête), et bien évidemment journalistes.
[5] Des transfusions sanguines par exemple.
[6] Son livre, Secret Défonce. Ma vérité sur le dopage (1999, éditions JCL), est l'un des premiers livres sur le sujet après la fameuse affaire Festina.
[7] Je pense au journaliste Robert Chapatte par exemple.
[8] On pense à des gens comme Christophe Bassons.
[9] D'après les paroles même de Thierry Adam, qui commente le Tour de France pour  France Télévisions.
[10] Synthèse de l'audition à retrouver dans cet article du journal Le Monde.
[11] Une partie de cette interview est disponible à ce lien.
[12] Ou alors, il faudra revoir celui de nombreux autres sportifs...
[13] Agence Française de Lutte contre le Dopage.
[14] Le témoignage de Willy Voet et de sa femme Sylvie sont également intéressants à lire sur le sujet.
[15] Termes que l'on retrouve dans le livre de Laurent Fignon, Nous étions jeunes et insouciants (2010, Livre de Poche).
[16] Miguel Indurain, vainqueur de 5 Tours de France entre 1991 et 1995.

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