Régulièrement, la Cour des Comptes, organisme
chargé de contrôler les comptes publics de l’état et des agences publiques, des
entreprises publiques et de la Sécurité Sociale (et le cas échéant de prodiguer
des conseils) tire la sonnette d’alarme sur l’état des finances de la France. Alors
que le projet de loi de règlement du budget 2014 (en d’autres termes, c’est la
loi qui soldera les dernières factures de l’année dernière) va être présenté
dans les prochains jours à l’Assemblée Nationale, de nouveaux rapports sont venus
ternir l’exercice 2014. Pour résumer, la Cour des Comptes, par l’intermédiaire
de son premier président, Didier Migaud, interrogé par la commission des
finances de l’Assemblée Nationale, pointe du doigt un dérapage du déficit de l’état
de 10.7 mds d’euros (réparti entre une baisse des recettes fiscales de 6
milliards d’euros et une hausse des dépenses de 4.2 milliards d’euros). Selon
lui, ce dérapage s’explique par des estimations de croissance et d’inflation
bien trop optimistes par rapport à la réalité. S’ajoutent à cela des dépenses
sous-estimées comme celles qui concernent les opérations extérieures (l’engagement
de l’armée française à l’étranger).
D’autre part, Didier Migaud s’est aussi inquiété
de l’augmentation de la dette de l’état : entre 2013 et 2014, elle a
glissé de 71 milliards d’euros. Pour l’exercice 2015, il semblerait que cela s’accélère
encore puisqu’une émission record de titres de dette est prévue. Les taux d’intérêt
particulièrement bas depuis quelques temps (même si on note actuellement leur
remontée), abaissant leur charge dans le budget de l’état, agit comme un appel
d’air en permettant d’emprunter plus. En somme, on assiste à une fuite en avant
des finances publiques.
Enfin, et c’est le point que je voulais aborder,
la Cour des Comptes a noté que l’Etat malgré la conjoncture économique difficile,
continuait à percevoir d’importants dividendes en provenance des entreprises
dont il est actionnaire. Or, cette manière de faire n’est pas conséquence :
en effet, en agissant de la sorte, l’état néglige le développement et l’investissement
indispensables pour que ces sociétés continuent à rapporter de l’argent. En d’autres
termes, l’Etat fait du court terme et se comporte comme les acteurs
capitalistes qu’il critique à longueur de journée. Pour l’année 2014, les
dividendes obtenus se sont montés à 4.1 milliards d’euros contre 3.1 prévus
initialement par la loi de finances présentée par le gouvernement. La Cour des
Comptes va même plus loin en ajoutant que plusieurs entreprises ont versé des
dividendes en 2014 alors même que leurs résultats étaient déficitaires en 2013,
citant l’exemple d’Engie (ex-GDF-Suez) qui après avoir perdu 9.3 milliards d’euros
a réussi le tour de force de donner 1 milliard d’euros à l’état. La juridiction
financière souligne aussi que sur les douze plus importantes sociétés dont l’état
est actionnaire, neuf d’entre elles ont connu des taux de distribution de
résultats, supérieurs au taux moyen des entreprises du CAC40, souvent prises
pour cible pour rémunérer beaucoup trop le capital [1].
Alors que l’exemple récent d’Areva nous montre que
la gestion de l’état peut conduire à des situations catastrophiques (pertes de
4.8 milliards d’euros pour l’exercice 2014, auxquelles s’ajoutent entre 3000 et
4000 licenciements), on est en droit de se demander si l’action publique (i.e.
la participation de l’état dans de grands groupes) est encore pertinente.
Est-ce au contribuable de payer pour ces erreurs de gouvernance surtout qu’il
ne voit pas la qualité des services s’améliorer pour autant (l’exemple
ferroviaire est éloquent à ce sujet) ? Reste que l’Etat par l’intermédiaire de
l’APE (l’agence qui gère les participations) ne compte pas renoncer de sitôt à
cette manne financière, même si pour cela il doit saigner à blanc certains
fleurons français. Dès lors on remarque une offensive de l’Etat, qui vient tout
juste d’augmenter sa participation dans Renault (de 15% à 19.74%), au moment
même où l’action grimpe.
Mais les éminences ministérielles ont une autre
idée en tête : continuer à conserver de l’influence dans certains groupes
y compris dans ceux dont la participation publique a baissé. C’est alors qu’entre
en scène la fameuse loi Florange, votée en 2014. En plus du volet controversé qui
demande à une entreprise de chercher un repreneur au cas où elle voudrait
fermer une succursale de plis de 1000 salariés, une deuxième mesure, intéresse
plus particulièrement l’Etat-actionnaire : celle qui permet à un
actionnaire qui détient ses titres depuis plus de deux d’obtenir des droits de
vote doublés. Etant donné le portefeuille public, cette règle donne à l’état un
immense avantage dont certains opportunistes du gouvernement aimeraient tirer
parti. Ainsi, selon une étude récente si l’état cédait 10% d’EDF, 11.7% d’Engie
et 10.7% d’Orange, il récupérerait 16.5 milliards d’euros tout en conservant
ses droits de vote et donc son influence, l’empêchant d’être mis en minorité [2].
Pratique, mais pas vraiment fair-play surtout si on tient compte du conflit d’intérêt
évident (l’état vote une loi qui lui profite directement). Une raison de plus
pour appeler à la fin de ces participations.
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[1] Dépêche de Reuters datée du 27 mai 2015 et disponible à ce lien.
[2] Selon des données d'un article de l'hebdomadaire Challenges datant d'avril 2015 et consultables à ce lien.
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