Bilan de la présidentielle américaine

Donald J. Trump milliardaire new-yorkais, magnat de l'immobilier, présentateur d'une émission de télé-réalité et agitateur notoire de la récente campagne a donc été élu 45ème président des Etats-Unis. Une surprise totale pour les observateurs, les sondeurs mais aussi les supporters des deux camps.
Même s'il ne l'avouera jamais, Trump a probablement été le premier étonné de ce succès, inespéré : lui et son équipe de campagne avaient plus sûrement prévu de contester les résultats dans les états, que les prévisions donnaient serrés, que fêter en grande pompe cette victoire. A noter qu'un tel scénario aurait engendré un état de tensions tel que la démocratie américaine en serait sortie affaiblie. Il n'en a rien été et Clinton, ayant rapidement compris qu'elle ne pouvait plus remporter l'élection, a décidé d'appeler Trump pour le féliciter, concédant ainsi sa défaite.
Le controversé candidat républicain a alors produit un discours rassembleur, édulcoré par rapports aux propos outranciers, insultants et haineux proférés pendant la campagne. En espérant que cet effort se poursuivra dans les mois et années à venir.

Ce qui m'amène à parler ici n'est pas tant le résultat que les raisons qui l'ont créé. En d'autres termes : pourquoi Trump et pas Clinton ?

Tout d'abord, la longue campagne américain débutée voici 18 mois a été d'une rare violence. Au-delà des seules paroles, les comportements des deux principaux candidats ont été pointés du doigt : à lui, les scandales sexuels, les impôts non payés et une gestion discutable de ses affaires et à elle, le scandale des mails, la provenance des fonds de sa fondation ou de ses donateurs. Coups bas et invectives ont été le lot quotidien de cette période pré-électorale.

Ensuite, les primaires ont montré deux choses : la première, c'est qu'Hillary Clinton a eu toutes les peines du monde à se défaire de Bernie Sanders, le candidat de la gauche du parti démocrate. Outsider, il a repoussé la favorite des sondages dans ses derniers retranchements tant et si bien qu'elle en est venue à inclure des propositions de Sanders sans son propre programme alors que son adversaire se ralliait à elle au dernier moment, et avec lui, les jeunes et une partie des défavorisés pour qui il avait fait campagne. La deuxième chose, c'est que les candidats républicains de l'opposition n'ont rien pu faire contre la tornade Trump. Un à un, ils ont cédé, laissant le champ libre à l'exubérant New-Yorkais. Aucun de ces professionnels de la politique n'a su diriger Trump. Aucun ne s'en est pas méfié suffisamment ; tous l'ont sous-estimés, alors qu'il grimpait dans les sondages, dépassant les favoris Bush, Rubio, Kasich ou Cruz. Le trublion s'est joué d'eux sans qu'ils ne comprennent ce qui leur arrivait.

Dans la dernière ligne droite, Trump et Clinton déjà séparés sur le plan des idées (sic !), se sont aussi différenciés sur le style : à elle la campagne classique, les campagnes publicitaires, les meetings réglés à la seconde, le soutien des stars hollywoodiennes et de la presse mainstream ; à lui, les grands shows ponctués de discours improvisés, les tweets enflammés, les remarques à l'emporte-pièce, et un programme qui change d'une journée sur l'autre et dont certaines propositions choquent l'opinion. Enfin une partie seulement. Cette opposition de style n'est pas si étonnante que cela. D'un côté, Trump a toujours eu cette gouaille et cette facilité du parler-vite, allant droit au but sans prendre de précaution : cela a construit sa notoriété. S'y ajoute un charisme éclatant et un passé sulfureux qui détonne et séduit tout en même temps. De l'autre, Clinton, dans le sérail de la politique depuis 40 ans. Tour à tour, femme de président (admiré même si critiqué lui aussi pour ses comportements passés), sénatrice, secrétaire d'état et candidate par deux fois à la présidentielle, Hillary Clinton paie sa proximité avec l'establishment, ses relations avec les ogres de Wall Street brocardés depuis la crise de 2008, ainsi qu'une froideur dont elle n'a jamais réussi à se débarrasser malgré tous ses efforts.

La dynamique, comme face à Barack Obama en 2008, a joué en la défaveur de la démocrate : alors qu'elle pouvait espérer l'emporter facilement, le temps de la campagne, morne et peu enthousiasmant n'a pas soulevé les foules. L'électorat, traditionnellement acquis au parti, ne s'est pas déplacé pour voter pour elle. Un désamour qui s'est accru ces dernièrs mois avec les révélations sur son compte : l'affaire des mails bien sûr qui montre à quel point elle se pensait au-dessus des règles, déconnectée de la réalité, mais aussi l'opacité de sa fondation ou encore les erreurs de communication sur sa santé. Ajoutés un à un, ces éléments, tels des clous dans un cercueil, ont plombé la campagne de celle qui aurait pu devenir la première femme à accéder à la Maison Blanche.

Devant la réalité, qui même si elle ne nous réjouit pas, ne changera pas - à savoir que le vote des grands électeurs en décembre ne rebattra pas les cartes - il faut savoir regarder les quelques signes encourageants. En premier lieu, il n'y a aucune raison de croire que Donald Trump mettra en œuvre certains points de son programme : interdire l'entrée des musulmans par exemple ne passerait pas le cap de la Cour Suprême, qui rebouterait la loi à coup sûr. De même construire un mur à la frontière mexicaine avant d'envoyer la facture au gouvernement de l'état d'Amérique centrale paraît peu plausible. En revanche, on pourrait voir une augmentation des effectifs de gardes à la frontière. Concernant l'environnement, Trump a dit vouloir revenir sur l'accord de la COP21 que son prédécesseur a ratifié sans le Congrès pour aller plus vite. Même s'il lui sera difficile de le dénoncer, le nouveau président pourrait en revanche trainer les pieds pour le mettre en application. On rappelle à l'occasion que de nombreuses décisions en matière d'environnement sont à l'initiative des états fédérés et certains ont déjà beaucoup agi sur la question. Enfin, la position de Trump sur la défense (augmentation du budget et un relatif retour à l'isolationnisme) pourrait elle aussi voir le jour, du moins en partie. Tout comme son plan de remise en état des infrastructures du pays ou de réforme du fameux ObamaCare. Dans les deux premiers cas, le Congrès actuel - à majorité républicaine - pourrait se montrer très frileux de dépenser plus, d'autant que cela irait à l'encontre de la politique budgétaire actuelle de réductions des déficits. Un comble alors que le GOP avait bloqué certaines institutions fédérales du fait de désaccords sur la manière d'organiser les dépenses sous la présidence Obama. Refondre le système de santé, semble plus à la portée de la nouvelle administration : ses imperfections notoires (augmentation brusque des traites d'assurance pour le citoyen lambda) jouent en la faveur de changements d'autant que les Républicains ont toujours dénoncé cette loi.

En résumé, Trump se montrera sûrement plus modéré dans l'exercice du pouvoir que dans sa conquête. Sans quoi, il ne pourra pas gouverner, bloqué par le Congrès, qui, même s'il lui est normalement acquis, n'oublie pas que les prochaines élections sont dans deux ans et que quelques incartades de leur bouillonnant président pourrait causer le basculement des deux chambres. Un équilibre précaire est donc établi. Trump devra composer avec toutes les franges du pouvoir : le législatif, le judiciaire (il devra nommer au moins un juge à la Cour Suprême) et même l'exécutif, s'il veut espérer un deuxième mandat synonyme de satisfaction de l'électorat. Mais nous n'en sommes pas encore là. Néanmoins, on peut penser que les institutions américaines vieilles de plus de 200 ans résisteront à la tornade Donald Trump. Rendez-vous, donc, dans un peu plus de trois ans pour la conclusion de cette drôle d'histoire.