Le robot qui imprime des maisons

Traduction d'un article original du site Shareable, "The Robot That Can Print a Real House in 24 Hours".

Alors qu'en ce début de XXIème siècle, la technologie continue de progresser à une vitesse folle, environ un milliard de personnes continue de vivre dans des bidonvilles, et l'on estime que ce nombre pourrait atteindre les 2 milliards d'ici à 2030.

Est-ce que la technologie de l'impression en trois dimensions sur béton pourrait fournir des abris pour loger les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète ? 

Les bidonvilles dans le monde sont majoritairement concentrés dans le "sud" : Afrique, Asie, Amérique Latine ; des endroits où le processus urbanisation ne s'est pas accompagné d'un développement économique, et, qui sont caractérisés par des conditions sanitaires déplorables, des habitations entassées les unes sur les autres et des constructions de mauvaise qualité, le tout exposant les populations qui y vivent aux maladies et aux catastrophes naturelles.

D'après un article de MSN Innovation, du professeur Behrokh Khoshnevis de l'Université de Californie du Sud, les bidonvilles constituent "un problème de construction classique, qui est lent, laborieux et inefficace".

Khoshnevis a développé une technologie de "contour crafting" qui utilise une grue robotique géante pour littéralement imprimer le béton. Guidé par un plan créé par ordinateur, le système peut construire une maison de 2500 pieds carrés (soit environ 230 m²) en 24 heures, et le résultat final est bien plus robuste que les constructions traditionnelles.
D'après Contour Crafting.

"La plupart des biens d'aujourd'hui – vêtements, voitures, appareils électroniques – sont produits grâce à des processus automatisés" poursuit Khoshnevis. La construction d'habitations sera la prochaine étape.

Mais cette automatisation du secteur ne va-t-elle pas détruire des emplois dans ce domaine ?

Environ 5.8 millions d'Américains et quelques 110 millions de personnes dans le monde travaillent dans le milieu de la construction.

Dans l'article, Khoshnevis indique que cette nouvelle technologie peut potentiellement créer de nouveaux emplois, plus sûrs pour les ouvriers, ce qui permettrait d'éviter la mort de plus de 10 000 personnes chaque année sur les chantiers.

Comme toutes les nouvelles technologies innovantes, la construction de maisons par impression en trois dimensions devrait perturber ce secteur économique. Mais, après tout, des Américains étaient fermiers au début du siècle dernier et aujourd'hui, il y en reste encore fait remarquer Khoshnevis.

Cette technique présente quand même quelques inconvénients. Les sites de construction doivent être parfaitement dégagés et disposer d'un sol plat afin que les imprimantes en 3D puissent fonctionner. Dans plusieurs bidonvilles dans le monde, telles que les favelas au Brésil, les terrains plats sont une denrée rare. Aplanir ces zones ne se fera pas automatiquement ce qui nécessitera encore l'intervention d'ouvriers pour effectuer le travail.

Pour l'instant, aucune habitation n'a encore été construite et le système continue à être testé. Avec le développement et la distribution de cette technologie, de plus en plus d'objets sont imprimés, et on peut penser que ce n'est qu'une question de temps et d'argent pour que cela n'arrive dans le secteur du bâtiment.
Ce "contour crafting" test de mur présente une résistance de 10000 PSI contre 3000 simplement pour un mur traditionnel.

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[1] Que l'on pourrait traduire approximativement par "forme artisanale", même si je n'ai pas trouvé de traduction plus élégante.

L'échec du pacte climat-énergie

La recommandation est venue du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), créé voici un peu moins d'un an par Jean-Marc Ayrault pour le conseiller sur les orientations à prendre en matière d'économie, d'environnement ou encore de culture [1]. Dirigé par l'économiste Jean Pisani-Ferry, l'organisme a publié, ce mardi, un rapport [2], dans lequel il préconise de revoir les mesures de soutien aux énergies renouvelables. Étonnamment, cette publication intervient quelques jours seulement après que Sigmar Gabriel, le nouveau ministre fédéral allemand de l'Economie et de l'Energie, ait annoncé vouloir baisser les subventions au secteur, afin d'orienter les prix de l'énergie à la baisse [3].

Prévisions erronées


Tout commence à la fin de l'année 2008, quand les pays européens décident, en pleine crise, de signer le "pacte climat-énergie", avec trois objectifs - le fameux 20-20-20 - à atteindre à l'horizon 2020 : réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre, accroître la part de production d'électricité par les énergies renouvelables de 20% et améliorer l'efficacité énergétique de 20%. Le but avoué était alors de faire de l'Europe le leader mondial dans le domaine de l'énergie propre. A ce moment, le coût des énergies fossiles était tel - le baril de pétrole venait de passer les 145 dollars à New-York en juillet, son plus haut historique [4] - que les énergies alternatives seraient rapidement rentables malgré les investissements à consentir. A moyen terme, leur subventionnement devait disparaître et le marché aurait, seul, assuré leur viabilité.

Mais, au grand dame des initiateurs du projet, rien en s'est passé comme prévu. La crise économique mondiale a rebattu les cartes en la défaveur des énergies propres. D'une part, le recul de l'activité économique a fait chuter la demande en matières premières fossiles. Leur prix ont reculé tout comme les quotas de CO2 alloués par les pays membres de l'Union Européenne depuis 2003. Alors que la tonne de CO2 s'échangeait à 35 euros en 2008, elle a dégringolé à moins de 3 euros à l'été 2013 [5,6], obligeant le parlement européen à geler la mise sur le marché de 900 millions de tonnes pour la période 2013-2015 [6]. Prenant conscience de cela, de nombreux pays européens - dont l'Allemagne [7] - ont sauté sur l'occasion pour produire de l’électricité avec du charbon. Si on ajoute à cela le développement massif de l'exploitation massive des gaz de schistes aux Etats-Unis pour faire revenir la croissance et fabriquer à bon marché qui a provoqué la chute du prix de la tonne de charbon - environ 30 % de moins entre janvier 2012 et juin 2013 -, on commence à entrevoir que le marché européen de l'énergie a été complètement chamboulé et se trouve désormais dans l'incapacité d'atteindre l'objectif de moins 20% d’émissions de gaz à effet de serre, voulu par le pacte climat-énergie.

L'irruption des énergies vertes


En même temps que se produisaient ces événements, les pays européens développaient, à coup de subventions, l'implantation d'énergies renouvelables - photovoltaïque, éolien - afin de se conformer à l'accord. Dès lors, l'Europe entre en surproduction d'électricité, les prix de gros partent à la baisse et la rentabilité de certaines installations de production - notamment celles fonctionnant au gaz naturel - se dégrade. Le rapport du CGSP estime ainsi que 12% des installations de ce type dans l'UE pourraient fermer d'ici à trois ans. A terme, ce chiffre pourrait même grimper jusqu'à 40%. Or, ces centrales ont un avantage par rapport aux tranches conventionnelles : elles permettent de faire face aux pics de demande du réseau, comme ceux qui surviennent en hiver par exemple, ce que la production par les énergies renouvelables, aléatoire et irrégulière, est incapable de faire. Leur arrêt - voire leur fermeture - rendrait donc le réseau beaucoup plus vulnérable aux fluctuations, car moins flexible.

Pour autant, la baisse des prix de l'énergie électrique ne s'est pas répercutée sur le consommateur européen. On peut même dire que celui-ci a vu sa facture grimper de près de 27% entre 2008 et 2013 [8]. La raison à cela est que les particuliers continuent à payer les subventions de soutien au secteur des énergies renouvelables, soit une addition de 30 milliards d'euros pour la seule année 2012. Un comble. Dans le même temps, les compagnies d'électricité européennes - exsangues à cause des revenus en baisse - ne sont plus capables d'assurer les investissements nécessaires au maintien en bon état de leurs infrastructures, parfois très anciennes, ce qui pourrait occasionner quelques soubresauts sur le réseau dans un proche avenir. Et cette situation semble ne pas pouvoir s'arrêter, puisque le développement des énergies renouvelables est toujours d'actualité, ce qui mécaniquement entraînera une baisse des prix de gros, un sous-investissement des installations et ainsi de suite. Le pacte climat-énergie a donc abouti à une situation précaire où l'approvisionnement en électricité de l'Europe n'est plus assuré.

L'autre conséquence directe de cette politique européenne a été de dégrader la compétitivité industrielle de l'Europe par rapport à d'autres pays, comme les Etats-Unis, où l'extraction des gaz de schiste a fait baisser le coût de l'énergie, attirant des capitaux nouveaux. Si la situation actuelle perdure, l'Europe pourrait voir partir certains pans de son économie vers d'autres régions plus attractives.

Des solutions


Au vu de ce constat, assez pessimiste, le CGSP conseille au premier ministre et à l'Union Européenne de réduire les émissions de CO2 afin de faire remonter le prix de la tonne sur le marché aux alentours de 40 euros. En parallèle, le soutien aux énergies renouvelables devra être réduit afin de soulager les entreprises. Le rapport suggère également de mettre en place des stratégies pour atteindre l'objectif d'efficacité énergétique [9].

De notre côté, on ne peut s'empêcher de penser que les dirigeants européens ont voulu se substituer aux intentions des acteurs de l'économies - entreprises, particuliers notamment - en signant ce fameux pacte. Sa mise en oeuvre, au moment critique où la conjoncture économique mondiale s'inversait, s'est révélé néfaste. Les investisseurs, manquant de visibilité sur l'avenir, n'ont pas réagi comme l'avaient prévus les initiateurs du projet. Paradoxalement, des moyens d'obtenir une énergie moins chère - on pense à l'exploitation du gaz de schiste pas plus polluants que les mines à ciel ouvert exploitées en Allemagne - et d'assurer le retour de la croissance, ont été écarté d'un revers de la main alors que les industriels  et la technologie étaient prêts, ce qui n'était pas le cas pour les énergies vertes. A vouloir se substituer au marché, les états, ont alloué des ressources à ce secteur non mature technologiquement [10], tout en dépeçant d'autres, à qui ces capitaux manquent désormais. Cette stratégie hasardeuse a créé un déséquilibre, qu'il faudra bien résorber d'une façon ou d'une autre.

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[1] Il est une émanation du défunt Commissariat général du plan.
[2] Rapport que vous pouvez consulter sur le site du CGSP à ce lien (pdf). Une partie des chiffres de cet article en sont tirés.
[3] Une information relayée par le journal Le Point et disponible à ce lien.
[4] Une information datée du 3 juillet 2008 sur le site de l'hebdomadaire Le Point et consultable à ce lien.
[5] Information tirée du journal Le Monde, datée de janvier 2013 et consultable à ce lien.
[6] Information toujours en provenance du journal Le Monde, de juillet 2013 et consultable à ce lien.
[7] On se rappellera que l'Allemagne a abandonné le nucléaire après la catastrophe de Fukushima en mars 2011.
[8] En Allemagne, les prix ont doublé en 10 ans.
[9] Le développement de technologies telles que les réseaux de distribution intelligents ou smart grids en anglais.
[10] On notera au passage que le secteur du voltaïque est désormais aux mais des Américains et des Chinois et sont donc loin de créer de la richesse en Europe.

Néologismes : un savoir-faire de technocrates

Depuis quelques temps, le gouvernement et par extension la majorité du Parlement, semblent avoir recours à des expressions un peu bizarres [1], une sorte de réécriture d'un vocabulaire déjà existant, mais remis au goût du jour par la kyrielle de technocrates, estampillés du titre de "conseiller" ou de "chargé de mission", et qui après être sortis de l'ENA (ou d'un équivalent), trouvent refuge dans un quelconque ministère au service d'un ministre tout aussi éphémère que la rose du poème. La lecture de ces quelques saillies - on ne doit plus dire désormais "se lancer dans des projets" mais "construire des possibles" [2] - m'a rappelé l'un des réquisitoires de Pierre Desproges, dans le défunt - mais génial - Tribunal des Flagrants Délires, diffusé au début des années 80 sur France Inter. Je vous le livre tel quel [3] :
"De même qu'on dit aujourd'hui un "non-voyant" pour ne pas choquer la susceptibilité des aveugles, ou une "non-bandante" pour ne pas choquer la susceptibilité des boudins, on devrait créer un néologisme pour ne pas choquer la susceptibilité des Corses. On pourrait dire les "non-bossants" par exemple. C'est une simple question de délicatesse.
Ainsi, moi qui vous parle, j'ai un beau-frère nain, cul-de-jatte, manchot, sourd, muet, con et pacifiste. Pour égayer sa vie, il suffirait que nous l'appelions le non-grandissant, non-gambadant, non-embrassant, non-entendant, non-jactant et non-comprenant, et non-violent. Je dis "non-violent" parce que quand je lui balance mon poing dans la gueule, c'est rare qu'il me le rende.
Tout cela, répétons-le, est affaire de délicatesse. On ne dit plus un "infirme", on dit un "handicapé". On ne dit plus "un vieux", on dit "une personne du troisième âge".
Pourquoi alors continue-t-on à dire "un jeune", et non pas "une personne du premier âge" ? Est-ce que dans l'esprit des beaux messieurs bureaucratiques qui ont inventé ces merveilleux néologismes, la vieillesse serait une période de vie infamante au point qu'on ne peut plus l'appeler par son nom ? Est-ce que nous vivons au siècle de l'hypocrisie suprême ?
Y'a de plus en plus de vieux. Ils meurent de plus en plus seuls ; on les retrouve souvent recroquevillés dans leur mansarde, avec le crucifix sur le ventre et le squelette du chat à côté, morts depuis des semaines et des mois, si l'on en croît les gazettes. Ou alors, ils moisissent et s'éteignent dans des mouroirs provinciaux bien proprets, dans l'indifférence générale, car les jeunes ont le problème de la vignette moto - faut vraiment les comprendre.
Tout cela serait horrible, mais, mais on dit "personne du troisième âge" au lieu de dire "vieux", et le problème est résolu.
Y'a de moins en moins de "pauvres vieux", mais de plus en plus de "joyeux troisième-âgistes". 
Il n'y a plus de "pauvres affamés sous-développés", mais de "sémillants affamés en voie de développement".
Il n'y a plus "d'infirmes", mais de "pimpants handicapés".
Il n'y a plus de "mongoliens", mais de "brillants tri-chromosomiques".
Françaises, Français, réjouissons-nous, nous vivons dans un siècle qui a résolu tous les vrais problèmes humains, en appelant un chat, un chien."
En son temps, cet "empêcheur de tourner en rond" qu'était Desproges avait déjà remarqué cette capacité de nos élites à fabriquer des néologismes, tous aussi pompeux les uns que les autres, avec l'intention véritable de changer le monde avec. Trente ans après, rien n'a changé ou presque : les expressions changent mais les maux restent...

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[1] Quand j'étais au collège, j'ai entendu parler de "référentiel bondissant" pour désigner un ballon.
[2] Pour d'autres, je vous invite à vous rendre sur le site du journal Le Figaro à ce lien.
[3] Réquisitoire contre Renée Saint-Cyr (actrice et mère de Georges Lautner), diffusé le 6 avril 1981. Ce texte est bien évidemment humoristique.

Les Etats-Unis : toujours plus administrés

Au moment de l'entrée en application de leur Constitution, en 1789, le gouvernement des Etats-Unis créa quatre ministères : celui de la Guerre (Department of War devenu en 1947 Department of Defense après le regroupement des différentes branches de l'armée), celui du Trésor (Department of the Treasury), celui des Affaires Etrangères (Department of State [1]) et celui de laJustice avec la création du poste d'Attorney General (Procureur Général en anglais), le Department of Justice ne devenant un ministère à part entière qu'en 1870. A peu de choses près, ces quatre entités regroupent les pouvoirs régaliens dont doit disposer une nouvelle nation si elle souhaite s'organiser efficacement.

Depuis lors, il est particulièrement notable de remarquer que le nombre de départements n'a cessé d'augmenter, intervenant de plus en plus dans la vie des citoyens du pays. J'en récapitule ici les étapes :
- Département de l'Intérieur (Department of the Interior), créé en 1849. Il est chargé, notamment, de l'administration du territoire, de la gestion des ressources naturelles, du dialogue avec les populations natives.
Département de l'Agriculture (Department of Agriculture), établi en 1862. Il a pour mission de gérer les programmes agricoles (élevage,...) ainsi que la politique de l'alimentation.
- Département du Commerce (Department of Commerce), créé en 1903. Il s'occupe principalement de la politique industrielle et des relations commerciales.
- Département du Travail (Department of Labor), institué en 1913. Il a en charge tout ce qui concerne le temps de travail, les salaires, les assurances chômage... A l'origine, il était associé au département du commerce avant de devenir indépendant.
- Département de la Santé et des Services Sociaux (Department of Health and Human Services), établi en 1953. Il a pour mission "d'améliorer la santé, la sécurité et le bien-être de l'Amérique". C'est aussi le premier budget du pays avec plus de 900 milliards de dollars de dépenses annuelles.
- Département du Logement et du Développement urbain (Department of Housing and Urban Development). Créé en 1965 dans le cadre de la "guerre contre la pauvreté" décrétée par le président Johnson, ce ministère gère la politique d'aménagement des villes. Il a aussi pour but de faciliter l'accès à la propriété en favorisant le recours à l'hypothèque.
- Département du Transport (Department of Transportation), établi en 1966. C'est à lui qu'incombe la gestion du transport à travers le pays, qu'il soit aérien, routier, ferroviaire ou encore maritime.
- Département de l’Énergie (Department of Energy), fondé en 1977. Il s'occupe de la politique énergétique du pays (soutien de la recherche notamment) et assure la mission de sûreté nucléaire. Il fut créé en réponse à la crise de l'énergie qu'a connu le pays au début des années 70.
- Département de l'Éducation (Department of Education). Depuis 1980, il est chargé de promouvoir la réussite éducative et de garantir une éducation de qualité à tous les élèves et étudiants du pays.
- Département des Anciens Combattants (Department of Veterans Affairs), créé en 1989. C'est ce département qui gère les pensions, les soins médicaux ainsi que la réinsertion des vétérans du pays.
- Département de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security), établi en 2002. Le dernier né de la fratrie a été créé en réponse aux attentats du 11 septembre 2001. Il intervient pour mieux coordonner les efforts des différentes agences de renseignements notamment afin d'assurer au mieux la sécurité du pays [2].

Après cette énumération, qui paraît sans fin, il est assez clair que la pieuvre administrative américaine n'a cessé de croître - notamment depuis la deuxième moitié du XXème siècle - avec la création de pas moins de sept nouveaux ministères, chargés de gérer, à leur place et pour leur "bien-être", la vie des citoyens américains. D'ailleurs, force est de reconnaître, à la lumière du jour, que cette mission loin d'être une réussite tant les échecs sont patents. Une dernière chose aussi : cet interventionnisme de l'état fédéral, dans la vie des Américains, est en totale contradiction avec la vision des pères fondateurs du pays [3], qui, jadis, luttaient contre la main mise de la monarchie anglaise sur les colonies.

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[1] Il est à noter que les Etats-Unis ont développé des relations diplomatiques avec d'autres pays - et notamment la France - dès les débuts de la Guerre d'Indépendance.
[2] Parmi les innovations qui sont intervenus dans la foulée de la création de ce ministère, le renforcement des capacités d'écoute de la population américaine par la désormais célèbre NSA.
[3] Thomas Jefferson en tête. Il est à noter que la création du Département du Trésor l'opposa à Alexander Hamilton (premier secrétaire au Trésor), plus prompt à centraliser la gestion des finances du pays.

Daft Punk vs culture subventionnée

Hier, était un grand jour pour deux musiciens français, les Daft Punk. Nommés dans cinq catégories aux Grammy Awards, - l'équivalent des Oscars de la musique - pour leur dernier album Random Access Memories, ils on raflé tous les prix, couronnant ainsi une carrière lancée voici une vingtaine d'années. Ce matin, au réveil, un concert de louanges accueillait les deux membres du groupe, Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter, tous deux membres actifs du mouvement de la French Touch, la branche française de la house music. Désormais mondialement connus, adulés par des fans toujours plus nombreux, séduits par leurs créativité musicale, les Daft Punk se sont aussi lancés dans la production et ont révélé voici quelques années Kavinsky dont dont la musique a été popularisée par le film de Nicolas Winding Refn, Drive en 2011 [1].

Dès lors, parmi les hommages rendus dans la foulée de ce triomphe aux Grammy Awards, on note celui de la ministre de la culture Aurélie Filippetti, qui vante le mérite des deux hommes. Après les félicitations d'usage, elle a ajouté le commentaire : "Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo sont les fers de lance de la French touch appréciée du monde entier. Daft Punk incarne l'essor de la musique électronique à la française" [2].

Oui mais voilà. Pour le public et les observateurs attentifs, Daft Punk constitue l'antithèse de la culture prônée par la gardienne de l'exception culturelle française. Je m'explique. Produits à leurs débuts par des petits labels, Daft Punk reste aussi un symbole de la musique indépendante, bien loin de la culture subventionné dont on cherche à nous abreuver en permanence. Le label et les producteurs qui lancé le groupe ont pris un risque qui aurait très bien pu s'avérer perdant. Au lieu de cela, le public, les critiques, qui ont jugé l'œuvre, ont décidé - sans pression aucune - que cette musique devait exister. On appelle cela la loi du marché, parfois cruelle.

Il est d'ailleurs étrange que Mme Filippetti se réjouisse de ce succès tant elle essaie de contrecarrer la propagation de nouvelles œuvres que ce soit en prolongeant l'existence de l'HADOPI [3], cette agence qui est supposée luter contre le piratage de contenus à caractère culturel, ou en restreignant l'offre proposée par le site de vente en ligne Amazon, accusé de faire de la concurrence déloyale aux libraires traditionnels [4]. Il serait utile de rappeler au ministère que les subventions au cinéma [5], à la presse [6] ou encore au spectacle vivant sont loin de favoriser l'émergence de talents nouveaux : au contraire, ils maintiennent sous perfusion des secteurs moribonds, les empêchant de produire une mutation nécessaire.

Au delà de l'aspect financier, nos ministres de la culture successifs devraient finir par comprendre, que par le passé, sans leur aide et leurs lois compliquées, la France a abritée - et continue à le faire d'ailleurs - une culture riche et diversifiée, reconnue partout dans le monde. Une preuve s'il en est besoin que la culture par l'état n'aura jamais l'éclat et la renommée de celle promue par des milliers d'individus libres.

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[1] Sorte de film noir inspiré d’œuvres de série-B. Il met en scène l'acteur canadien Ryan Gosling.
[2] La déclaration, relayée par le journal 20 Minutes, est à retrouver à ce lien.
[3] acronyme pour "Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet".
[4] J'en parlais en fin d'année dernière dans cet article.
[5] Se rappeler que récemment, une étude de BFMTV a révélé que 90% des films français n'étaient pas rentables.
[6] Subventions dont on voit l'efficacité puisque la vente des quotidiens ne cesse de chuter.
Deux nouvelles lois sont en préparation pour l'année qui vient.

Les diamants : généralités (1)

J'ai évoqué dans un précédent article, l'histoire du diamant bleu Hope, autrefois connu sous le nom Bleu de France, avant qu'il ne soit volé puis retaillé. Emporté par mon élan, je vais continuer à évoquer ces pierres précieuses, qui fascinent les hommes depuis des siècles du fait de ses propriétés. Le mot "diamant" tient son nom du latin "adamas, adamantis", qui signifie indomptable, pour rappeler à tous son caractère inaltérable et éternel. Mais commençons par le début : d'où viennent-ils ?

Formation


Comme chacun a pu s'en rendre compte, les diamants sont assez rares à la surface de la Terre, et même à une profondeur raisonnable. Composés d'atomes de carbone, les cristaux de diamant ne sont pas stables dans l'atmosphère ambiante [1]. En réalité, c'est le graphite, une autre variété de carbone qui est dominante, sur le plan thermodynamique, et qui constitue la majeure partie des réserves de cet élément sur la planète.

Pour que du diamant soit formé, il faut réunir des conditions particulières de pressions et de température qui - en dehors d'un laboratoire - ne peuvent pas être atteintes à moins de se rendre à des profondeurs comprises entre 150 et 200 km [2] - dans des roches de type péridotites ou éclogites -, où règnent des pressions de l'ordre de 45 à 60 kbar [3] et où la température atteint entre 900 et 1300 °C environ. Une fois la cristallisation achevée, les diamants entament leur long et lent voyage avant de nous parvenir, ce qui explique d'ailleurs pourquoi ces pierres sont très âgées - entre 1 et 3 milliards d'années. Cette remontée n'est pas sans danger puisqu'ils sont exposés à des conditions extrêmes. Une fois en surface, les diamants restent prisonniers d'une gangue de kimberlite [4] ou de lamproite, des roches d'origine magmatique, en provenance de grandes profondeurs. Appelées minéraux indicateurs, elles sont la preuve d'un sol généralement assez ancien et riche en diamants.

Les diamants sont connus depuis des millénaires et leur exploitation a commencé très tôt dans l'histoire. A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, plusieurs études géologiques ont été menées sur la planète pour diversifier les sources d'approvisionnement. L'aboutissement de ces travaux a permis de découvrir de nouvelles régions diamantifères. Aujourd'hui, l'Australie, l'Afrique du Sud, le Canada, la Russie, l'Inde l'Angola, la Centrafrique ou encore le golfe de Guinée - Liberia, Sierra Leone notamment [5] - abritent les principales réserves de la planète [6]. La plus importante des exploitations minières se trouve à Argyle en Australie. Ouverte en 1985, elle devenait, moins de dix ans plus tard, la première du monde, produisant plus de 30 millions de carats, dont moins de 5% était de qualité gemme, c'est-à-dire utilisable en joaillerie.

Classification générale


Une fois extraits du sol, les diamants passent entre les mains de spécialistes, qui en estiment la valeur marchande. Au fil du temps, des critères stricts ont été établis et sont aujourd'hui reconnus internationalement, même si des différences existent encore. On peut, néanmoins, affirmer ces quelques variations sont mineures et que ces règles sont assez homogènes à travers le monde.

Utilisé par tous, la règle des "4C" a été introduite dans les années 50 par le Gemological Institute of America ou GIA. Elle distingue toute pierre précieuse ou fine selon quatre attributs résumés par l'utilisation de la lettre "C". Je vais les décrire ici.
- Le poids (Carat) : le poids d'un diamant est traditionnellement évalué en carats. Un carat équivaut à 0.2 g. Donc un diamant de 5 carats pèse 1 g. Chaque carat est lui-même divisé en 100 points [7]. 
- La couleur (Colour ou Color) : la couleur d'un diamant, quant à elle, constitue - paradoxalement - pour les diamants incolores, la recherche de l'absence de couleur [8]. On classe ces diamants par une lettre allant de D à Z, D représentant le diamant parfaitement incolore et Z, celui dont la teinte tire vers le jaune et a fortiori vers le brun.
Exemple de l'échelle GIA de couleur pour un diamant incolore.

- La pureté (Clarity) : la pureté demande une observation attentive des spécialistes. Elle consiste à rechercher les imperfections ou les inclusions à la surface ou l'intérieur de la pierre. On répertorie leur nombre, leur taille, leur forme, leur couleur, avant de leur donner un grade correspondant. Plusieurs échelles existent en plus de celle établie par le GIA, même si elles convergent toutes vers une classification similaire. Notablement, celles de la CIBJO (Confédération Internationale de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie des Diamants, Perles et Pierres) et de l'AGS (American Gem Society) peuvent être rencontrées.
Échelles de notation de la pureté pour une pierre précieuse [9].

- La taille (Cut) : cette dernière caractéristique est obtenue après que le diamant soit passé entre les mains d'un tailleur spécialisé. Elle est responsable du brillant de la pierre par un jeu de réflexions de la lumière sur les faces du cristal. Les proportions et la géométrie entrent alors en ligne de compte. Autre point important, le diamant possède une dispersion important ce qui a pour conséquence de faire ressortir les couleurs composant la lumière blanche naturelle, comme le ferait un prisme.

Un cinquième critère intervient aussi : la fluorescence. Elle est obtenue quand on expose le diamant à une lumière de type ultraviolette. Le plus souvent, la pierre réémet une couleur bleue mais qui peut aussi être blanche voire verte ou jaune. On utilise des étalons afin de quantifier cette fluorescence. Elle comporte six niveaux allant de None à Very Strong.

Cas particulier des pierres de couleur


Hormis les diamants incolores que l'on trouve dans la majorité des mines de la planète, on extrait aussi une quantité non négligeable de diamants de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Par exemple, la mine d'Argyle, que j'ai évoquée précédemment, est une source de diamants bruns - dits champagne - roses et roses-pourprés. Ces derniers représentent d'ailleurs plus de 90% de l’approvisionnement mondial. Certaines régions sont, d'ailleurs, renommées pour disposer de couleurs particulières :
- Jaune (et nuances) : Bornéo, Angola, Canada,...
- Vert : Bornéo, Brésil, Centrafrique, Sierra Leone, Venezuela,...
- Bleu : Bornéo, Brésil, Guyana, Centrafrique, Afrique du Sud,...
- Rose (et nuances) : Australie, Centrafrique, Chine, Guinée, Russie, Tanzanie,...
- Brun : Angola, Australie, Brésil, Russie, Côte d'Ivoire,...
- Noir :  Centrafrique.
- Orange (et nuances) :  Centrafrique.

Comme les diamants incolores, les diamants de couleur utilisent la classification des "4C", à ceci près que la couleur n'est plus notée par les traditionnelles lettres, mais par des termes faisant référence au degré d'intensité de la couleur. Il y en a quatre : "Fancy Light", "Fancy, "Fancy Intense" et "Fancy Vivid" [10]. Le terme "fancy" vient de l'anglais et signifie "fantaisie". Le qualificatif associé à ce mot renforce l'intensité de la couleur de la pierre. Typiquement, ces appellations commencent après la lettre Z de la classification du GIA.

Mais d'où provient la couleur de ces diamants ? Pour répondre à cette question, il faut se rendre aux confins du microscopique. Les diamants, comme je l'ai déjà précisé, sont un amoncellement d'atomes de carbones agencés d'une manière précise. En cristallographie, on dirait qu'il forme un réseau "cubique faces centrées". En d'autres termes, un atome de carbone est présent à chaque sommet d'un cube théorique et un sur chaque face de ce cube. Si vous n'arrivez pas à matérialiser l'ensemble, ce n'est pas tellement important pour la suite. En fait, ce qu'il faut comprendre ici, c'est qu'entre les atomes de carbones, il y a des espaces, où peuvent se loger d'autres atomes, souvent plus petits. Si aucun atome autre que le carbone n'est présent, on a affaire à un diamant parfait dépourvu d'inclusions et incolore. En revanche, si des atomes se logent dans les fameux interstices, des colorations peuvent apparaître selon la concentration du perturbateur. Outre cela, des défauts - inclusions lors de la cristallisation, déformations plastiques ou encore défaut liés à l'hydrogène - peuvent aussi être à l'origine de coloration. J'en donne dans le tableau suivant quelques exemples.
Origine des couleurs dans des cristaux.

Ces diamants, plus rares - on estime qu'il existe un diamant de couleur pour 10 000 diamants incolores - que les pierres incolores, sont négociés à prix d'or sur des marchés spécialisés et leurs prix peuvent atteindre des sommes exorbitantes, lors de ventes aux enchères.

Authenticité


Après analyse, chaque diamant reçoit un certificat authenticité ou gemmologique sur lequel est inscrit toutes ses caractéristiques : forme, taille, poids, pureté, couleur, fluorescence, poli, dimensions et proportions de la figure géométrique, défauts notables, date d'émission... Tout cela fait que le certificat décerné est unique et constitue une sorte de carte d'identité permettant de retracer l'historique de la pierre, qui est ainsi authentifier avec certitude. Chaque organisme officiel - le GIA ou l'AGS par exemple -, appose des hologrammes et autres textures particulières afin d'éviter toute contrefaçon des précieux certificats. Il peut également arriver que les pierres soient scellés avant d'être vendues ou encore que l'on grave au laser un numéro permettant de l'identifier facilement. Ces certifications rendues quasi-obligatoires ont un coût non négligeable - qui peut aller de quelques dizaines à plusieurs milliers dépendamment de la pierre que l'on veut certifier - et immobilisent les pierres pendant parfois quelques semaines.

Toutes ces procédures ont été renforcées en 2003 lors de la signature du processus de Kimberley qui visait à contrôler plus strictement le commerce des diamants bruts du fait des conflits sanglants qui se sont déroulés en Afrique dans les années 90.

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[1] J'évoquais déjà cette particularité dans cet article.
[2] Même si le phénomène serait observable jusqu'à 400 km.
[3] Pour mémoire, la pression atmosphérique est de 1 bar.
[4] Directement dérivé de la ville de Kimberly, en Afrique du Sud, autour de laquelle de nombreuses mines ont vu le jour.
[5] Tristement célèbres pour avoir accueilli des conflits avec cette fortune comme étincelle. Les diamants extraits étaient baptisés diamants de sang, ou "blood diamonds" en anglais.
[6] Liste non exhaustive.
[7] 1 point = 1 centième de carat.
[8] L’utilisation du terme "blanc" est impropre puisqu'elle renvoie aux diamants spécifiquement blancs.
[9] A noter que la significations des acronymes est quelque peu différente selon l'échelle.
[10] On trouve aussi les mentions "Fancy Dark" et "Fancy Deep".

Gaspillage philharmonique

Annoncée en grande pompe en 2006 par le ministre de la culture de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres, en présence du maire de Paris Bertrand Delanoë, la Philharmonie de Paris est une salle de spectacle, pouvant accueillir quelques 2400 spectateurs. Une fois achevée, elle accueillera des récitals de musique de chambre ou de jazz, avec la volonté affichée, de restituer un son de haute qualité. Loi oblige, le bâtiment devra aussi être certifié "haute qualité environnementale" [1].

Rapidement, un appel d'offres est lancé et plusieurs cabinets d'architectes - qui savent flairer les bons coups - y répondent. Six sont retenus dans un premier temps, avant que le projet de Jean Nouvel, réputé mondialement, ne soit choisi finalement en avril 2007 [2]. Votée, la Philharmonie prévoit un financement à part égale entre le ministère de la culture et la Mairie de Paris, le conseil régional d'Île de France venant compléter le tout à hauteur de 10%. Au total, ce sont 204 millions d'euros qui devront être déboursés pour le bonheur auditif des Parisiens.

Sept années se sont écoulées depuis. Après un arrêt de près d'un an à cause un désaccord entre l'état et les collectivités territoriales sur le financement, la fin de construction de l'ouvrage est attendue pour cette année, l'inauguration devant intervenir en janvier 2015. Et le budget, me demanderez-vous, il a été respecté ? Pas vraiment. Officiellement, le coût a glissé copieusement pour atteindre la somme de 336 millions d'euros. D'après le directeur de la salle, Laurent Bayle on pourrait même avoir à payer une note de 381 millions d'euros [3]. Et quand on veut comprendre ce qui a provoqué une telle hausse, on évoque, tour à tout, de mauvaises estimations initiales ainsi que la "folie des grandeurs" du cabinet de Jean Nouvel qui a, par exemple, demandé 15 millions supplémentaires pour des façades VEC, autrement dit une grande baie vitrée ! Mais on peut aussi mettre en cause la sous-estimation qui entoure, très souvent - trop dirons certains - ce genre de projets, uniquement pour ne pas affoler le contribuable. De toute façon il sera bien obligé de payer quand il recevra la facture.

Outre, ces débordements de budget répétitifs, qui ont provoqué une hausse de plus de 50% depuis le projet initial et qui devrait encore augmenter de 50 millions, la mairie de Paris a usé d'un petit montage financier - tout à fait légal au demeurant - afin d'éviter d'alourdir sa propre comptabilité. Concrètement, c'est la Philharmonie qui s'endette elle-même et la mairie de Paris rembourse, indirectement, le prêt en versant une subvention à la direction de la salle de spectacle. Résultat, le taux d'emprunt passe de 4.2% - si il était souscrit par la mairie - à presque 5.2%, soit au total 75 millions d'euros d'intérêts pour un capital de 152 millions. Ainsi alourdie pour cacher aux Parisiens la vérité, il n'en demeure pas moins que ce sont eux qui devront payer l'addition au final.

Alertés par cela, l'actuelle ministre de la culture Aurélie Filippetti et le maire sortant de la ville de Paris ont adressé une lettre à Laurent Bayle [4], s'inquiétant de la tournure des événements ce qui pourrait pénaliser le mandat de la majorité et affecter la campagne d'Anne Hidalgo. D'autant que cette dernière compte poursuivre la gabegie entamée par Bertrand Delanoë en proposant l'aménagement de l'actuelle avenue Foch [5]. Encore des dépenses en perspective.

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[1] Ce "label" comprend des règles strictes concernant le chauffage, l'eau ou encore la sonorisation.
[2] Pour l'occasion, les Ateliers Jean Nouvel se sont associés avec des acousticiens réputés, afin de garantir un rendu optimum.
[3] D'après les chiffres du journal Le Point disponibles à ce lien.
[4] Egalement disponible sur le site du journal Le Point.
[5] De nombreux articles sur le sujet sont disponibles, par exemple à ce lien.

A la poursuite du diamant bleu

Si dans l'imaginaire collectif, on a l'habitude que les diamants soient blancs [1], il est possible que d'autres couleurs du spectre lumineux lui soient substituées. Ainsi il existe des diamants rosés [2], bleus, jaunes ou encore verts [3]. Ces dernières teintes sont tellement rares que leur découverte revêt des allures de légende d'autant plus si la pierre en question atteint une taille et un degré de pureté conséquents.

Sur Terre, les premiers diamants ont été extraits de mines situées en Inde et il faut attendre le XVIIème siècle environ pour qu'ils arrivent en occident. Dès lors, les rois et princes européens raffolèrent de ces pierres précieuses, symboles de puissance et de richesse pour qui les possédaient : rien n'était jamais trop flamboyant ou trop grand, pour épater la cour ou les princes étrangers en visite [4].

A cet époque, un diamant, d'une couleur bleue éclatante et d'une taille gigantesque pour une pierre aussi rare, fut ramené en Europe. Racheté par le roi Louis XIV, ce diamant devint l'une des pièces les plus importantes des fameux Joyaux de la Couronne, volés en 1792. Surnommé le Bleu de France en référence à sa couleur, son histoire - et la malédiction qui l'entoure - a passionné des hommes et des femmes pendant plus de trois siècles. C'est cette épopée que je vais vous conter ici.

Origine


En 1663, Jean-Baptiste Tavernier [5], un explorateur et expert en pierres précieuses part pour son sixième - et dernier - voyage en Inde. Il se rend dans la région de Golconde, au sud de la péninsule, réputée pour être riche en diamants. Du récit de ce voyage, on ne sait plus trop ce qui est de l'ordre de l'histoire ou de la légende. Cependant, il semble que les diamants bleus n'aient pas une bonne réputation dans cette région. Ils apporteraient le mauvais œil. on leur préfère d'autres couleurs telles, le blanc (symbole de prospérité) ou encore le rouge (symbole de courage).

Le sultan de Golconde exploitait plusieurs mines dans la région et en sortait des exemplaires de grande taille, faisant la richesse de son royaume. Dans l'une de ses exploitations, à Coulour, un mineur aurait découvert - vers 1610 - près de la rivière Krishna, une pierre de belle dimension quasi opaque et de couleur grisâtre. Considéré comme impur par le maître des lieux - qui craint peut-être une quelconque malédiction - le diamant est laissé aux intouchables [6]. La pierre intrigue tant ces nouveaux propriétaires qu'ils décident de la confier à un artisan, qui effectue un polissage des faces, de manière à conserver la pierre la plus grosse possible. Une fois le travail achevé, elle acquiert une légère teinte bleutée et affiche une vague forme de cœur. Rapidement, la nouvelle de l'existence de ce trésor se répand à travers le sultanat. Telle un symbole pour les mineurs, la pierre aurait été placée sur une statue de la déesse Sītā [7], au sein d'un temple construit par leurs mains.

Cependant la dévotion pour cette pierre précieuse n'est pas du goût du sultan, qui décide alors de détruire le temple en question pour punir, en quelque sorte, les intouchables. Le diamant disparaît alors, probablement volé ou mis à l'abri [8]. Lors de son voyage dans cette région, Tavernier en retrouve la trace. Intéressé par la pierre, il propose de l'échanger contre un diamant incolore. Mis au courant de la transaction, le sultan - qui connait l'histoire qui entoure cette pierre - autorise l'échange pensant éloigner le diamant maudit de son royaume. Nouveau propriétaire, Tavernier ramène, cette rarissime pierre bleue en France au cours de l'année 1668.

Dessin de la main de Tavernier lui-même de la pierre ramenée d'Inde

Le diamant devient le Bleu de France


De retour à la cour du roi Louis XIV, Tavernier présente une importante collection de diamants au contrôleur général des Finances, en la personne de Jean-Baptiste Colbert [9]. Rapidement, le diamant bleu-gris attire le regard du trésorier ainsi que celui du roi. D'une taille de 115 carats métriques actuels (112 et 3/16 de carats à l'époque) [10], le diamant est acquis pour 220 000 livres tournois par le jeune roi [11]. 

Grand amateur de pierres précieuses, Louis XIV chargea quelques temps plus tard Jean Pittan, l'un des joailliers les plus renommés de son époque, de retailler la pierre, afin d'en faire ressortir le meilleur éclat possible. L'homme travailla sur le projet pendant deux ans et il lui fallut encore deux années supplémentaires pour effectuer la taille, après quoi le diamant passa de 115 carats à 69 carats (68.5 de l'époque). Le résultat obtenu était tel que la réputation du diamant désormais d'un bleu éclatant se propagea rapidement. L'orfèvre avait, en effet, réussi l'exploit de faire ressortir au mieux la lumière captée par la pierre. De forme triangulaire, le diamant était pourvu d'un pavillon dit en "rose de Paris" d'ordre 7, c'est-à-dire à sept facettes, tel un soleil, symbole du roi. Serti dans une couronne en or, le diamant servait de broche pour maintenir le foulard de Louis XIV. Il rejoignait ainsi le célèbre Sancy [12] au sein des diamants de la couronne. La légende - encore une - veut que ce soit Colbert qui le baptise Bleu de France.

La Toison d'or de Louis XV


Pourtant, malgré sa rareté et son éclat, le diamant est rapidement délaissé par le roi [13]. Louis XV, nouveau monarque de France à partir de 1715 le reçoit en héritage mais préfère utiliser des diamants incolores pour sa couronne de sacre. Le Bleu de France entre alors dans une longue période d'hibernation. En 1749, pourtant, on se rappelle de son existence au moment où le roi, récemment fait chevalier de la Toison d'or [14], demande à Pierre-André Jacquemin, un joaillier, de réaliser une parure en incluant le fameux diamant bleu. Pourvue de nombreuses pierres précieuses (trois saphirs jaunes dits "Topaze d'Orient", un diamant bleu pâle, le Bazu [15], cinq brillants de 4 à 5 carats), cette oeuvre impressionnante représente un dragon en spinelle - une pierre fine de 107 carats - taillée en "Côte-de-Bretagne" par Jacques Guay [16] - et crachant des flammes, matérialisées par des diamants peints en rouge. Les ailes du dragon et sa queue sont représentés à l'aide de plus de 280 diamants blancs. D'une incroyable richesse, cette parure est arborée par le roi dans les grandes occasions.

C'est à cette époque que les premiers dessins - peu précis - du diamant bleu apparaissent. En 1787, un physicien et zoologiste de l'Académie des Sciences, Mathurin Jacques Brisson [17] en réalise un dessin très approximatif mais parvient à en estimer les dimensions et le poids exact.

Révolution et vol des Joyaux de la couronne


En 1789, la Révolution bouleverse le pays et la monarchie est petit à petit dépecée de ses trésors. Un temps exposés au public, les Joyaux de la Couronne sont ensuite entreposés à l'hôtel du Garde-Meuble, alors que la famille royale est aux Tuileries. En 1792 alors que la capitale est encore agité par les troubles révolutionnaires, un groupe de voleurs réussit le tour de force de voler les plus belles pièces du trésor royal - qui à l'époque comptait plus de 9000 pierres précieuses [18] et constituait l'une des plus importantes collections du genre - lors de cinq nuits de pillage [19] et ce sans alerter l'attention des gardes du lieu. L'un des casses les plus audacieux vient d'avoir lieu. La précieuse Toison d'or et son célèbre diamant bleu disparaissent corps et biens. Il semblerait que la liste des fabuleuses pièces royales, dressée un an auparavant, par la toute jeune Première République, aurait attisé les convoitises de quelques personnes.

Rapidement la trace des brigands est retrouvée : ils seraient partis pour l'Angleterre. D'intenses investigations sont menées et permettent de recouvrer une majorité des pierres - tout du moins les plus importantes - telles le Sancy ou le Régent [20]. Les autres, desserties de leur bijou d'origine, ont été revendues et le cas échéant retaillées, ce qui ne facilite par leur recherche et leur récupération. Ainsi le Bleu de France reste - désespéramment - introuvable. Un homme, probablement l'un des membres de l'équipée et répondant au nom de Cadet Guillot est retrouvé à Londres en possession de la fameuse spinelle en forme de dragon. Il est alors soupçonné d'avoir eu entre ses mains la Toison d'or et donc le Bleu de France, qu'il a certainement revendu à quelque receleur. La piste pour mettre la main sur le diamant s'évanouit alors : il est considéré comme perdu.

L'apparition du Hope


L'histoire du Bleu de France se perd dans les méandres et les turpitudes de l'Empire napoléonien. Pourtant en 1812, soit vingt ans et deux jours précisément après sa disparition, un diamant bleu, est présenté au public à Londres par deux bijoutiers, Francillon et Eliason. De forme ovale, ne pesant que 45.5 carats, soit bien moins que le Bleu de France, il fait dire à certains qu'il s'agit d'une retaille du diamant français. En effet bien qu'à cette époque, le délai de prescription pour un vol est de vingt années celui de recel est bien supérieur à cette durée, ce qui justifie que le diamant ait pu changer de forme afin d'éviter d'éventuelles poursuites. Même si certains émettent des doutes sur la provenance de l'objet, il n'en ait pas fait mention avant 1858, quand un joaillier Charles Barbot établit un lien entre les deux pierres [21], après avoir consulté un ouvrage [22], dans lequel figure deux gravures de Lucien Hirz, représentant, à l'échelle, le Bleu de France.

Une photo du diamant Hope sans son sertissage.

Il faut attendre 1824-1825 pour qu'on lui trouve un premier propriétaire reconnu en la personne d'un banquier anglais, Henry Philip Hope [23]. Dès lors, la pierre bleue prend le nom de HopeSuivant le destin des objets précieux, le diamant Hope change de mains lors d'héritages et le petit fils de Hope le cède pour régler ses dettes en 1901 à un bijoutier new-yorkais, Joseph Frankel, en 1901. Le périple continue. En 1908, il est revendu à un marchand turc, Selim Habib, qui le cède dès l'année suivante à un joaillier du nom de Rosenau. Acquis par la célèbre maison Cartier en 1910, il est acheté par une richissime américaine, Evalyn Walsh McLean [24], qui fut subjugué par son histoire rocambolesque et mystérieuse [25]. Elle en reste propriétaire jusqu' à sa mort en 1947. Entre temps, la malédiction autour du diamant rejaillit puisque May Hope, la femme du petit-fils de Hope écrit en 1921 un livre sur le sujet. En 1932, Evalyn gage le diamant pour payer la rançon du bébé de Charles Linbergh enlevé quelques temps auparavant.

A la mort de McLean, Harry Winston, surnommé "The King of Diamonds" rachète entièrement sa collection de bijoux. En 1958, il fait don du Hope au Smithsonian Institute de Washington - non sans avoir obtenu une réduction d'impôts équivalente - qui en est toujours le propriétaire légal [26]. Quatre ans plus tard, le diamant est prêté à la France et exposé au Musée du Louvre.

Encore aujourd'hui, et malgré les retailles successives, il s'agit du plus gros diamant de couleur bleu jamais découvert. Sa réputation est telle qu'il attire tous les ans presque autant de visiteurs que La Joconde, le chef d'oeuvre de Leonard de Vinci au Louvre.

Épilogue


L'histoire aurait pu se terminer ici, mais c'est sans compter sur la ténacité sans faille de quelques personnes. Le pionnier dans cette enquête est Bernard Morel qui dans son livre Les Joyaux de la Couronne sortie en 1988, reprend les travaux de Charles Barbot. Mais les gravures manquent de précision : seuls un dessin ou une moulure du Bleu de France permettrait de véritablement savoir si le Hope en constitue une retaille.

L'affaire semble définitivement classée, lorsqu'en 2007, François Farges, chercheur en minéralogique découvre, par hasard, un modèle en plomb du Bleu de France au Muséum d'Histoire naturelle de Paris alors qu'il entreprend un inventaire des lieux. Poursuivant ses investigations, il met la main sur l'étiquetage du plomb : il fait apparaître que Hope en était bien le propriétaire entre 1792 et 1812, faisant de lui l'artisan de la retaille de la pierre [27]. S'envolant pour Washington, il convainc ses homologues américains de comparer - à l'aide d'outils numériques - le modèle en plomb qu'il possède au Hope : il s'avère alors que la correspondance est parfaite et permet même d'expliquer les quelques irrégularités de l'actuelle pierre. Le professeur Farges met ainsi un point final à plus de deux siècles d'interrogation sur l'origine du diamant Hope [28].

Dernière anecdote concernant ce diamant : c'est cette pierre qui aurait inspiré le fameux Coeur de l'Océan, le magnifique diamant en forme de cœur porté par Rose dans Titanic de James Cameron.

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[1] Plus exactement incolores.
[2] L'un plus des plus connus est le Daria-e nour, littéralement mer de lumière en persan. Il fut découvert en Inde.
[3] Le plus connu étant le diamant Dresde Vert, ville où il se trouve encore aujourd'hui.
[4] Versailles en est un exemple patent.
[5] Jean-Baptiste Tavernier (1605-1689).
[6] Les intouchables - nommés aussi parias ou dalits - sont des individus exclus du système de castes institué en Inde.
[7] Cette déesse est l'un des avatars de Lakhsmi. Elle symbolise la nature.
[8] Le voleur aurait d'ailleurs été foudroyé au cours de l'opération selon une variante de la légende.
[9] Jean-Baptiste Colbert (1619-1683).
[10] Un carat représente 200 mg soit 0.2 g dans notre système métrique actuel.
[11] Pour l'époque, cette somme représente près de 147 kg d'or.
[12] Le Sancy est un diamant incolore qui a plusieurs fois changé de mains, avant d'échoir ente celles du cardinal Mazarin, mentor du roi Louis XIV à qui il le lègue en 1661. Il disparaît change à nouveau de propriétaires plusieurs fois avant d'être acquis par le Musée du Louvre en 1979.
[13] Cette disgrâce coïncide avec la révocation de l'Edit de Nantes, suite à laquelle la famille Pittan est persécutée et finit par émigrer en Angleterre.
[14] Ordre de chevalerie fondée à Bruges en 1430 par le Duc de Bourgogne.
[15] D'une taille de 32 carats, ce diamant, volé en 1792, n'a jamais été retrouvé.
[16] Pesant à l'origine 246 carats, cette pierre avait été offerte à François Ier. Aujourd'hui propriété du Musée du Louvre, elle constitue le seul héritage de la défunte Toison d'or qui nous soit parvenue.
[17] Mathurin Jacques Brisson (1723-1806).
[18] Soit plusieurs centaines de millions d'euros de pierreries.
[19] Entre les 11 et 16 septembre.
[20] D'une taille de 140 carats, ce diamant fut retrouvé en 1793 et est depuis 1887 la propriété du Musée du Louvre. Il constitue l'un des derniers Joyaux de la Couronne de France.
[21] Théorie qu'il expose dans son livre Traité complet des pierres précieuses.
[25] De l'auteur Germain Bapst (1853-1921).
[23] Hope se serait ruiné pour acquérir cette pierre, l'obligeant à la gager par la suite. Certains spécialistes du diamant avaient évoqué son rachat par le roi George IV du Royaume-Uni mais cette rumeur n'a jamais été attestée.
[24] Pour la somme de 180 000 dollars de 1911. Soit plus de 4 millions de 2008.
[25] Il est dit que c'est Pierre Cartier lui-même qui lui conta l'épopée du diamant.
[26] Plus précisément, il est exposé au National Museum of Natural History, une des composantes du Smithsonian Institute.
[27] L'étiquetage portait la mention "Mr Hoppe de Londres".
[28] Un livre et plusieurs documentaires ont depuis été publiés sur cette histoire.